En politique, les grands drames se jouent souvent sur de petits détails. L'un d'eux est de savoir quel département est chargé de traiter une proposition parlementaire et de ce fait, quel conseiller fédéral est publiquement associé à un thème.
La plupart du temps, la situation de départ est claire et l'attribution au sein du Conseil fédéral relève de la pure routine. Ce n'était pas le cas lors de la séance de mercredi dernier, lorsqu'il s'agissait de la motion de la Commission de la politique de sécurité (CPS) du Conseil des Etats, qui demande un fonds spécial pour plus de sécurité.
L'affaire pèse 15 milliards de francs. Le fonds doit financer l'aide à la reconstruction de l'Ukraine (5 milliards) ainsi que l'augmentation plus rapide du budget de l'armée à 1% du produit intérieur brut d'ici 2030 (10,1 milliards). Le cœur du problème: les 15 milliards de francs doivent passer outre le frein à l'endettement.
Le chemin est long jusqu'à ce que l'idée d'une motion devienne réalité. Après l'approbation de la commission, la balle est maintenant dans le camp du Conseil fédéral - il doit dire s'il accepte ou rejette la motion. Ensuite, le Conseil des Etats débattra de la motion lors de la session de juin. Si le plénum l'approuve, l'objet passera au Conseil national. S'il échoue, l'idée est abandonnée.
Il est peu probable que le Conseil fédéral approuve le fonds de 15 milliards: les quatre conseillers fédéraux de l'UDC et du PLR accordent une grande importance au frein à l'endettement. Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis serait le plus intéressé à financer l'aide à la reconstruction de l'Ukraine en dehors du budget de la coopération internationale au développement (CI). Mais selon des sources bien informées, lui-même ne soutiendrait pas le projet.
La question est de savoir qui représentera la position du Conseil fédéral. Comme le confirment des sources bien informées et indépendantes, la Chancellerie fédérale a proposé mercredi que la motion de la CPS soit attribuée au département de la défense de Viola Amherd. Mais la conseillère fédérale s'y serait opposée, elle souhaitait que la ministre des Finances Karin Keller-Sutter s'occupe de ce dossier. Car la trésorière du PLR est favorable à un strict respect du frein à l'endettement. Elle l'appelle sa meilleure amie.
Viola Amherd n'a pas réussi à s'imposer et se retrouve face à un dilemme. Officiellement, elle ne s'est pas exprimée sur l'idée d'un fonds de 15 milliards, mais dans la Berne fédérale, ce n'est un secret pour personne qu'elle souhaite rapidement plus de moyens pour l'armée afin de rétablir la capacité de défense.
Amherd et Keller-Sutter ont des avis divergents à ce sujet.
Ironie de l'histoire, ce n'est que grâce au groupe du Centre que le Parlement a soutenu ce cap en décembre dernier.
Les positions divergentes d'Amherd et de Keller-Sutter se sont également manifestées lors de l'examen de la motion par la CPS. L'administration des finances et le département de la Défense ont porté un jugement complètement différent sur la question de la légalité d'un fonds spécial. Selon le Blick, l'administration des finances s'en tenait à la ligne du Conseil fédéral, selon laquelle les financements extraordinaires qui échappent au frein à l'endettement ne sont autorisés que dans des «développements exceptionnels et non contrôlables par la Confédération». Ce n'est pas le cas du budget de l'armée.
Le Département de la défense est arrivé à une autre conclusion. A ses yeux, il faut procéder à une évaluation de la situation du point de vue de la politique de sécurité. La guerre en Ukraine a modifié la situation en Europe:
Le deal de 15 milliards a été mis en place par des parlementaires du PS et du Centre. La proposition est venue de la conseillère aux Etats argovienne du Centre Marianne Binder. Mais l'idée est née dans les cercles du PS. Viola Amherd a été informée du plan entre deux portes au Palais fédéral, mais elle n'a pas participé elle-même à son élaboration.
Ce n'est pas étonnant non plus. Les parlementaires sont conscientes de la situation délicate dans laquelle se trouve Amherd, elle-même membre du Centre. Elle souhaiterait obtenir rapidement plus d'argent pour l'armée, mais doit défendre la position du Conseil fédéral en raison du principe de collégialité.
En début de semaine prochaine, la commission des finances du Conseil national se penchera également sur ce deal de plusieurs milliards. Les instigateurs ont pour objectif de faire adopter une motion identique. Cela déclencherait une procédure accélérée. Reste à savoir si le fonds spécial obtiendra une majorité auprès des responsables des finances.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)