Il faut renforcer la colonne vertébrale du rail suisse
Le Conseil fédéral a chargé l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) d’une expertise sur l’avenir des transports dans le cadre du projet «Transport 45».
Le professeur Weidmann et son équipe ont livré voici quelques jours une analyse qui représente une étape technique importante. Place maintenant à la discussion politique. Après des décennies d’investissements sur l’axe Nord-Sud, il est temps de tourner résolument le regard vers l’axe Est-Ouest, véritable colonne vertébrale de la mobilité en Suisse.
Des retards conséquents
Ces dernières décennies l’axe Genève–Lausanne–Berne et la ligne du Pied-du-Jura ont pris du retard, et leur modernisation est devenue un enjeu stratégique national. Le fait est que l’axe Est-Ouest concentre l’essentiel de la population, des emplois et des activités économiques du pays.
Il relie Genève, Lausanne, Berne, à Zurich et la Suisse orientale et à Bâle. Il ouvre aussi la Suisse vers Paris, Le Sud de la France et l’Espagne, Londres et le Benelux d’un côté, l‘Allemagne, le Nord de l’Europe et l’Autriche de l’autre. Il est complémentaire aux liaisons vers l’Italie, qu’il faut continuer de moderniser aussi du côté du Simplon. C’est aussi sur l’axe principal Est-Ouest que viennent se connecter les réseaux régionaux de transport.
Une entrave à l'économie et au développement
Mais cet axe arrive aujourd’hui à saturation: l’exercice pénible de l’horaire 2025 a démontré qu’aucune capacité supplémentaire n’est possible sans investissements majeurs en Suisse occidentale. La suppression d’une liaison horaire directe entre Genève et Neuchâtel-Bienne-Zurich illustre cette limite: moins d’offre, de moins bonnes correspondances, moins de résilience.
La situation contraste avec les objectifs de Rail 2000, projet adopté par le peuple voici près de 40 ans: alors que le temps de trajet entre Berne et Zurich, Berne et Lucerne ou Berne et Bâle a diminué de 15 minutes, depuis 2005 sur l’axe Berne-Genève, il a augmenté de 10 minutes!
Ce retard d’investissement, mais aussi d’entretien des lignes en Suisse romande, pèse sur l’attractivité économique, les correspondances et le potentiel de transfert modal, qui est dès lors resté plus élevé en Suisse romande qu’ailleurs. Si la réintroduction d’une liaison directe Lausanne–Bienne–Bâle dès décembre est une bonne nouvelle, cela ne suffit pas.
Plus de capacités, plus de redondances
Pour bâtir le rail de 2050, il faut:
- 🚄 Augmenter les capacités pour les voyageurs et les marchandises;
- 🔁 Créer des redondances, notamment sur Lausanne–Genève, seul axe majeur national sans itinéraire alternatif;
- 🕒 Réduire les temps de parcours entre les grands centres (1 h entre Lausanne et Berne ou Bienne);
- 🧭 Améliorer les correspondances à Berne et Lausanne.
Quant à la ligne du Pied-du-Jura, elle doit rester compétitive en éliminant les goulets d’étranglement (Bussigny, Vauseyon) pour bien connecter Bâle et Zurich à Genève et Lausanne aussi par cet axe, et bien relier les villes de l’arc jurassien (Bienne, Delémont, La Chaux-de-Fonds) au reste du réseau national.
Il ne s’agit pas de privilégier la Suisse romande, et d’autres régions verront aussi de gros investissements, évidemment notamment en Suisse alémanique; il s’agit de corriger un déséquilibre objectif: moins d’entretien et moins d’investissements ont été faits ces dernières décennies dans le ferroviaire en Suisse occidentale, une région qui doit dès lors rattraper son retard et poursuivre ses investissements pour rester efficacement connectée au reste du pays… et ouvrir celui-ci sur le reste de l’Europe ferroviaire côté Nord-Ouest et Sud-Ouest.
Une vision nationale ambitieuse pour 2050
Rail 2000 et les transversales alpines ont été possibles grâce à une ambition nationale fédératrice et des financements de long terme. Le rail de demain ne peut se construire par des projets épars, toujours plus chers et complexes: il faut une vision claire, nationale, qui place l’axe Est-Ouest au cœur de la stratégie pour 2050 et qui mette l’offre de transport, et pas les infrastructures, au centre du jeu.
Investir dans le rail, en complément de la route, c’est investir dans la qualité de vie, dans la transition climatique et dans la compétitivité économique de la Suisse. C’est permettre demain aussi une mobilité efficace et durable, renforcer le report modal et mieux relier toutes les régions.
2050 peut sembler loin. Mais les décisions se prennent aujourd’hui. Après l’analyse d’expert, il revient aux cantons, au Conseil fédéral et au Parlement de fixer le cap avec clairvoyance. Cela passe par un renforcement de l’axe Est-Ouest, véritable colonne vertébrale de notre pays.
