«Notre tolérance à ta connerie est dépassée depuis longtemps, abruti!», ou encore:
Voilà le type de messages que le climatologue français Serge Zaka reçoit sur X (ex-Twitter). Et ce, «jusqu'à plusieurs centaines de fois par jour». Sa faute? Partager données et graphiques sur les effets du changement climatique. «En France, en 2023, le harcèlement des scientifiques du climat est une réalité», déplore-t-il sur la plateforme.
Serge Zaka n'est pas le seul. Scientifiques, journalistes et simples citoyens vulgarisant la crise climatique sont de plus en plus la cible de messages haineux sur les réseaux sociaux. «La montée de l'agressivité sur X est spectaculaire et nauséabonde», affirmait la semaine dernière la climatologue Valérie Masson-Delmotte à Franceinfo. «X est devenu toxique et aliénant», lui faisait écho, le même jour, le journaliste spécialisé Leo Hickman dans le Guardian.
Le phénomène n'épargne pas la Suisse. Sonia Seneviratne, climatologue à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), nous raconte en avoir déjà fait l'expérience. «Il s'agit surtout de messages insultants, ainsi que des attaques personnelles», explique la Vaudoise. «Par exemple, un politicien de l'UDC zurichoise a essayé d'attaquer une de mes interviews dans une vidéo.»
Julia Steinberger, chercheuse à l'Université de Lausanne et auteure principale du 3e groupe de travail du Giec, partage le même constat. Pour contrer ces attaques, elle affirme «bloquer facilement»: des dizaines, voire des centaines de milliers de comptes négationnistes ou abusifs ont connu ce destin, chiffre-t-elle dans le média allemand DW.
Comme nombre d'autres scientifiques, Sonia Seneviratne affirme recevoir beaucoup de messages négationnistes. «Je reçois principalement des messages de déni de la crise climatique et du rôle des émissions humaines dans le réchauffement global», développe-t-elle. Les impacts du dérèglement sur les événements extrêmes, tels que les canicules, les sécheresses et les feux de forêt sont également remis en doute, ajoute-t-elle.
Et pourtant, les chiffres parlent clairement. De nombreux records de température, dépassant parfois les 50°C, ont été battus depuis le début de l'été. Selon la Nasa, juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais mesuré sur Terre. Mais peu importe: il a suffi de quelques semaines de frais, en France et en Suisse, pour que plusieurs utilisateurs remettent tout en cause. Les hashtags #Secheressemoncul et #Caniculemoncul ont fait leur apparition sur X, rapporte Franceinfo. Un internaute a écrit à Serge Zaka:
Attaques et insultes fleurissent dans un contexte de plus en plus hostile et polarisé. Selon de nombreuses études, la désinformation et le négationnisme climatiques se répandent comme une tâche d'huile sur les réseaux sociaux. L'ancienne plateforme à l'oiseau bleu est particulièrement touchée par le phénomène. Une recherche publiée fin juillet par l'organisation «Climate Action Against Disinformation» (CAAD) montre que les tweets niant la crise climatique ont augmenté de plus de 260% à partir de juillet 2022.
«L’intensification du militantisme climatosceptique sur X a été particulièrement marquée depuis juillet 2022», confirme une étude publiée en février par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Parmi les comptes abordant les questions climatiques au niveau mondial, 30% nient le réchauffement, chiffrent les auteurs de l'étude.
«J'ai remarqué que les échanges sur X sont de plus en plus de mauvaise qualité», confirme Sonia Seneviratne. La chercheuse développe:
«J'ai vu que certains messages ayant trait à la crise climatique recevaient des commentaires presque immédiats qui remettaient en cause la responsabilité humaine dans cette crise», avance-t-elle en guise d'exemple.
L'étude du CNRS a également observé une «surreprésentation» de bots dans la galaxie climatosceptique. L'utilisation de ces comptes opérant de manière automatisée «pointe vers une volonté de manipuler l’opinion sur ce type de débat», explique David Chavalarias, coauteur de la recherche, dans une interview accordée à Libération.
Il s'agirait en somme d'un phénomène dépassant les messages haineux de la part d'individus isolés. Sonia Seneviratne, qui partage cet avis, pointe du doigt «les acteurs profitant du commerce de ces énergies fossiles». «Ils ont beaucoup d'argent et savent que la seule solution pour stabiliser le changement climatique actuel est d'arrêter la consommation de ces produits», développe-t-elle.
Autre élément intéressant mis en lumière par l'étude du CNRS: en France, la communauté climatosceptique sur X est composée majoritairement de comptes ayant participé à de nombreuses campagnes de contestation antisystème par le passé. Antivax pendant la pandémie, près de 60% d'entre eux ont relayé la propagande du Kremlin après le début de la guerre en Ukraine.
D'autre part, ce n'est pas un hasard si X se profile comme l'épicentre de la désinformation climatique et la haine envers les scientifiques. Selon plusieurs recherches, cette situation serait directement liée à son nouveau patron.
Après avoir racheté la plateforme en octobre 2022, Elon Musk a, en effet, radicalement réduit le personnel chargé de la modération des contenus. Parallèlement, il a restauré beaucoup de comptes militants qui avaient été bloqués en raison de leurs publications extrémistes et conspirationnistes. Résultat: près de la moitié des comptes «pro-climat» particulièrement actifs aux Etats-Unis ont quitté la plateforme depuis, selon une étude publiée le 15 août dans la revue scientifique Trends in Ecology & Evolution, relayée par Libération.
Le milliardaire ne se contente pas de préparer le terrain aux conspirationnistes, il donne, parfois, l'exemple personnellement. Dans un tweet partagé le 25 juin, il écrivait que «ce qui se passe à la surface de la Terre (par exemple l'agriculture) n'a pas d'impact significatif sur le changement climatique». Plusieurs scientifiques ont aussitôt rappelé que l'agriculture, la sylviculture et d'autres activités similaires ont généré jusqu'à 21% des émissions mondiales entre 2010 et 2019.
Que penser face à ce torrent de désinformation? La situation est-elle désespérée pour les scientifiques? Sonia Seneviratne se veut optimiste: «Les messages négatifs viennent d'un petit cercle d'acteurs qui ont les moyens de financer des personnes ou des algorithmes attaquant systématiquement les scientifiques», affirme-t-elle. Et de conclure: