J'adore Astérix et Obélix: Mission Cléopatre. Je compte bien le montrer à ma fille dès qu'elle en aura l'âge. Et ce, même si Gérard Depardieu venait à être condamné pour les viols dont il est accusé. Rappelons que, pour le moment, il est présumé innocent.
Ce dont il n'est pas innocent, en revanche, ce sont les propos abjects qu'il a tenus devant la caméra de Yann Moix, lors d'un voyage en Corée du Nord. Ceux-là ont même été authentifiés par un huissier et suffisent à justifier la polémique qui s'abat actuellement sur l'acteur. Mais je ne vais pas revenir là-dessus. On est tous d'accord pour dire que sexualiser une enfant, c'est dégueulasse. Et le débat est ailleurs.
Comme je le disais, je compte bien continuer à regarder des longs-métrages mettant en scène Depardieu. Parce qu'un film est une œuvre collective et que oui, jusqu'à un certain point, il faut séparer l'homme de l'artiste. Mais à voir la polémique qui monte ces derniers jours, je m'interroge:
Depuis bientôt une semaine, les réseaux sociaux s'enflamment. On dirait que toute la Suisse romande avait prévu de savourer Les Valseuses durant les fêtes. Certains hurlent à la censure, au wokisme, d'autres voient dans le choix de la RTS, la preuve ultime qu'il faut sabrer définitivement la redevance et, idéalement, supprimer ce satané service public.
N'est-ce pas un rien excessif? Ne pouvons-nous pas raison garder et mettre toute cette énergie dans d'autres combats, nettement plus utiles à notre société?
Certes, la décision de la RTS pose un certain nombre de questions: fallait-il opter pour une mesure aussi radicale? Est-ce bien le rôle du service public? Faut-il ainsi sanctionner les acteurs, réalisateurs, producteurs qui ont tourné avec Depardieu, pour une faute qu'ils n'ont pas commise? La réponse n'est sans doute ni toute noire, ni toute blanche.
Mais là où certains voient de la censure, je ne vois que du bon sens. La RTS n'a pas dit qu'elle ne diffuserait plus jamais un film avec Depardieu. Elle a seulement estimé que le timing était mauvais et qu'il valait mieux attendre un peu. Ce qu'elle a déjà fait dans d'autres situations.
Est-ce si scandaleux? Avait-on vraiment envie de voir l'acteur s'étaler sur nos écrans alors que son désormais tristement célèbre «les femmes sont des grosses salopes» résonne encore dans nos oreilles?
Face à la souffrance de ne pouvoir revoir Astérix ce soir sur la RTS, imaginez la détresse d'une victime de violences sexuelles en découvrant, en zappant, le visage de Depardieu sur son écran. Pensez-vous qu'elle se sentirait considérée? Prise au sérieux?
Il était largement temps de dire stop. De montrer à ceux qui dérapent que traiter la moitié de l'humanité de «grosses salopes» ou sexualiser une fillette à des conséquences. Et c'est le moment de la question joker:
Parce qu'il faut bien commencer un jour. Ce n'est pas parce qu'on a trop longtemps toléré l'intolérable qu'il faut continuer. Surtout, qui vous dit que la RTS n'a pas pris le même genre de mesures contre d'autres personnalités? Qui vous dit que Roman Polanski n'a pas, lui aussi, été temporairement suspendu de l'antenne?
D'ailleurs, la chaîne a confirmé avoir déprogrammé Pierre Palmade, sans que cela suscite un tel débat.
La seule différence avec Depardieu, c'est que vous êtes au courant. Et c'est peut-être là, la principale maladresse (ou malchance) de la RTS: sa communication. Suite aux révélations du Matin Dimanche, elle a été forcée de confirmer publiquement sa position.
Tout cela donne l'impression qu'elle la revendique, qu'elle s'en enorgueillit. Et ça donne du grain à moudre à ceux qui pensent que la RTS est un repaire de wokistes. Mais il y a peu de chance que la SSR soit ravie de se retrouver en pleine tempête, à quelques encablures d'un vote sur le montant de la redevance, décisif pour son avenir.
L'autre faux pas de l'entreprise, celui qui crispe sans doute une partie de ses détracteurs, c'est d'avoir voulu parler au nom des Romands. En présumant que son public pouvait se sentir «majoritairement heurté» par Depardieu, la RTS s'est avancée un peu vite: notre sondage montre que les positions sont beaucoup plus nuancées.
Mais, encore une fois, redescendons de nos grands chevaux. Il s'agit davantage de l'impair d'un collaborateur pris dans les phares d'une mauvaise polémique, que d'une volonté du service public de régenter nos vies.
Cette décision prête clairement à débat et c'est le bonheur de notre démocratie. Mais, non, ce n'est ni de la censure ni la preuve définitive qu'il faut couper la redevance en deux. Dans quelques mois, nous pourrons à nouveau rire aux blagues d'Obélix sur les antennes de la RTS. Et pour les plus accros, il y a toujours le DVD, le streaming et... même la plateforme Play Suisse de la SSR.
En attendant, si vous voulez découvrir un pays où règne vraiment la censure et où penser est interdit, faites comme Gérard: allez visiter la Corée du Nord.