Halte au sketch! C’est en substance le message adressé par le rectorat de l’Université de Genève (Unige) à la CUAE, la Conférence universitaire des associations d’étudiant.e.x.s. La question n’est pas pourquoi le rectorat tape-t-il soudain du poing sur la table, mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait plus tôt face à une faîtière étudiante qui se croit pour ainsi dire tout permis? De quoi s'agit-il? On y vient. C'est du lourd.
Et c'est une première: le rectorat «met en demeure la CUAE de respecter la Charte d’éthique et de déontologie de l’Université», indique mardi le service de presse de l’Unige. Qui ajoute et menace:
Si vous avez suivi les tribulations de la rentrée universitaire genevoise, vous n’avez pas pu manquer l’affaire de l’agenda de la CUAE. Imprimé à 5500 exemplaires destinés aux étudiants de l’Unige, financé par une subvention de 30 000 francs prélevés sur les taxes universitaires, il est parsemé de messages dénotant une idéologie de gauche radicale, laquelle a la fâcheuse tendance à se poser en vérité révélée. Pourquoi pas, direz-vous. Oui, pourquoi pas, toutes les opinions peuvent s’exprimer, à l’université comme ailleurs, dans les limites prévues par la loi.
Sauf que la CUAE détient le monopole syndical à l’Unige et que son fonctionnement dépend du fonds commun des taxes universitaires, non de cotisations d’adhérents. La communauté des étudiants est captive de la parole politique de la CUAE. Dans une démocratie, le monopole politique n’est pas souhaitable. Le syndicat étudiant genevois met son agenda papier au service de son agenda idéologique.
Des messages de l'agenda se rapportant au conflit israélo-palestinien ont été la goutte d’eau qui a fait déborder la patience du rectorat, notamment échaudé par l'occupation de l'Unige, au printemps dernier, en lien avec le drame en cours à Gaza. La mise en demeure visant la CUAE vaut pour deux messages, précise le rectorat:
Lors d’une conférence de presse organisée par ses soins, ce mardi matin à Genève, la CUAE, informée plus tôt de la mise en demeure du rectorat, était bien embêtée pour justifier le rappel, dans son agenda, du triple détournement d’avion par le FPLP, rejetant le terme de commémoration employé par le rectorat. Alors que d’autres faits dramatiques évoqués dans ce même agenda ne suscitent aucune ambiguïté sur ce qu’il faut en penser, là, le lecteur ne sait pas s’il convient de penser du bien ou du mal de cet acte de piraterie aérienne, au cours duquel, mais l'agenda ne le précise pas, les otages juifs avaient été séparés des otages non-juifs.
Dans sa conférence de presse, la CUAE a produit une explication fournie par l’avocat Nils de Dardel, où celui-ci a rappelé que le forfait du FPLP avait été suivi d'une terrible répression des fédayins palestiniens par les forces du roi de Jordanie.
A vrai dire, tous les messages de l’agenda en rapport avec le conflit israélo-palestinien amènent à la conclusion qu’Israël est un Etat illégitime. Israël y est comme coupé de l’histoire du peuple juif, alors qu’il en est l’expression la plus manifeste au XXe siècle. Cela n’excuse par le calvaire que le gouvernement israélien fait vivre à tout ou partie des Palestiniens des territoires occupés depuis trop d’années, et aujourd’hui à Gaza, mais ce manque de sensibilité apparent envers l’histoire juive est bien la marque d’une idéologie qui, au fond, n’a pas beaucoup de cœur, dès lors que le cœur n'épouse pas la cause.
Interrogés sur l’absence de la moindre mention à la date du 7 octobre, celle des massacres commis par le Hamas en 2023, les représentants de la CUAE étaient, là encore, empruntés pour répondre. Une juriste épaulant le syndicat étudiant a cru bon de dire que ce serait à une organisation juive de donner un sens au 7 octobre. Comme si les malheurs frappant les juifs ne concernaient qu'eux.
La goutte d’eau, donc. Rien ne va plus entre la CUAE et le rectorat au moins depuis les interruptions, au printemps 2022, par des transactivistes, de deux conférences jugées transphobes par le syndicat étudiant. Ce mardi devant la presse, la CUAE a laissé entendre que, dans l’affaire, les transactivistes qui avaient empêché, non sans violence, la tenue des deux conférences, étaient les victimes, les conférenciers étant les agresseurs. Classique inversion accusatoire.
La CUAE estime aujourd’hui que sa liberté syndicale est bafouée. Parle-t-elle de sa liberté de diffuser son idéologie dans un agenda payé avec les taxes des étudiants? Mais qui se permet cela? On a entendu le mot d’inquisition pour qualifier les démarches du rectorat visant la CUAE. Mais qui s’est cru autorisé à agir selon son bon plaisir, ces dernières années, au mépris de certains usages?
Le rectorat donne «dix jours» à la CUAE pour se mettre en conformité avec la Charte d’éthique et de déontologie de l’Université, a-t-on appris. Il lui demande entre autres de renoncer à distribuer son agenda même en dehors de l'enceinte universitaire. Faute de quoi, la CUAE pourrait perdre son statut. Acceptera-t-elle de se plier à l'injonction? Le mieux serait peut-être de recentrer l'unique syndicat étudiant sur des missions catégorielles, les expressions idéologiques pouvant trouver à s'épanouir dans le vaste champ associatif universitaire.