Avorter, c'est un droit. Point barre.
En Suisse, l'IVG est devenu licite en 2002 «s'il est effectué dans un délai de douze semaines après les dernières règles, ou au-delà dans certaines conditions». En 2002. Hier.
Un droit qui reste fragile, et qui est constamment remis en question. Demandez aux citoyennes des Etats-Unis, vous savez, ce grand pays occidental, à la pointe en ce qui concerne la technologie ou les armes de guerre, et vivant avec un siècle de retard quand il s'agit d'IVG. Demandez à celles qui revendiquent de pouvoir disposer de leur corps comme elles l'entendent. Celles qui craignaient la montée en puissance des ultraconservateurs. Celles qui n'imaginaient pas que leur pays allait régresser sur la question. En 2023.
En Suisse, les deux initiatives qui visaient à réduire le nombre d'avortements ont été lancées fin 2021 par la Bernoise Andrea Geissbühler et la Lucernoise Yvette Estermann. Les textes des deux femmes UDC n'ont pas réussi, malgré des mensonges éhontés balancés pour gratter des signatures, à récolter les 100 000 paraphes nécessaires. Oui, des mensonges.
Une journaliste de 24 heures avait par ailleurs raconté les «arguments» qui lui avaient été présentés lorsqu'on lui avait proposé de signer. Des mensonges sales.
L'un des textes, intitulé «la nuit porte conseil», voulait introduire un délai de réflexion d'un jour avant tout IVG. Comme si nous, les femmes, étions de pauvres petites créatures trop connes pour savoir ce qui est bon pour nous, au fond de nos tripes, sans «dormir dessus».
L'autre initiative voulait «sauver les bébés viables» et s'opposait aux avortements tardifs, soit «quand le bébé peut respirer en dehors de l'utérus, moyennement éventuellement des mesures de soins intensifs». Sachant à quel point il est compliqué en Suisse d'avorter une fois le délai des douze semaines écoulé, ce texte est encore moins compréhensible.
Il n'y a pas qu'aux USA où l'avortement est remis en cause. En Suisse aussi. L'UDC vient d'accepter (seul) sa motion au titre très violent: "Réduire le nombre d'avortements tardifs". Je ne peux pas croire que je me retrouve à discuter de ce sujet au Conseil national en 2022. pic.twitter.com/46bCx3Fjpo
— Delphine Klopfenstein Broggini (@dklopfensteinb) May 11, 2022
Dans Le Temps, la conseillère nationale verte Léonore Porchet se dit satisfaite. Pour la Vaudoise, il était difficile d'imaginer voter sur la question à notre époque:
Les jeunes socialistes se sont de leur côté réjoui de l'échec des deux initiatives UDC.
Les deux initiatives anti-avortement lancées par des cercles proches de l'UDC ont officiellement échoué, malgré les immenses moyens financiers et mensonges déployés dans les récoltes 🎉
— JS Suisse (@JSSuisse) June 21, 2023
Dans les dents, petits machos. La contre-attaque féministe s'organise !
Dans un communiqué, l'alliance Pro Choice, qui regroupe plusieurs partis et organisations en faveur d'un libre choix concernant l'avortement, salue un «grand jour pour le droit à l'autodétermination».
Et d'ajouter que ce droit doit pouvoir être exercé sans restrictions, sans tutelle médicale et sans jugement de la société, mais au contraire avec le meilleur accompagnement et les meilleurs conseils possibles.
Mais peut-on réellement se réjouir de voir de tels textes se casser les dents dans la rue? Ne devrait-on pas plutôt s'alarmer que de telles initiatives «frôlent» les 100 000 paraphes, en 2023? Alors que d'autres pays occidentaux reviennent insidieusement, sournoisement sur ce droit pour lequel des générations se sont battues durant des décennies?
Va-t-on devoir se battre, encore et encore, non pas pour aller de l'avant, mais pour tenir les murs d'une maison qui semble parfois construite sur des fondations bien fragiles? Va-t-on faire honte à nos mères, nos grands-mères, nos arrières-grands-mères, avec l'arrivée d'autres initiatives telles que celles lancées par ces deux femmes UDC?
Va-t-on un jour remettre sérieusement en question ce droit, au point de criminaliser les femmes qui réclament des avortements, et les médecins qui les pratiquent? Va-t-on à nouveau avorter dans des conditions inhumaines, ici en Suisse, à coups de cintres et d'hémorragies conduisant à d'atroces décès?
Car même si ces deux initiatives ne verront pas le jour, selon l'ats, la Bernoise Andrea Geissbühler et la Lucernoise Yvette Estermann ne comptent par renoncer pour autant.
Des leçons ont été tirées de l'échec des deux initiatives; à l'avenir, les deux femmes UDC veulent se concentrer sur une seule initiative à la fois.
Une semaine après la grève des femmes, force est de constater que les combats ne sont jamais gagnés. Lorsqu'un incendie est éteint, c'est un autre départ de feu qui se déclare. Et c'est fatigant. Ça m'emmerde de devoir me battre pour un droit aussi fondamental que le droit à l'avortement. Ça m'emmerde de devoir me battre pour avoir le même salaire que mes camarades détenteurs de pénis. Ça m'emmerde de devoir me battre pour avoir le droit de m'habiller comme je veux, avec une jupe courte si ça me chante, sans me prendre les sifflements d'une bande de connards néandertaliens comme ce fut le cas encore ce matin même en venant au bureau.
J'ai 31 ans et je suis fatiguée de passer pour une emmerdeuse, simplement parce que je veux faire respecter mes droits et mes choix. J'aimerais tellement que la génération de ma petite sœur n'ait pas à se battre pour ces mêmes revendications. Et que la génération suivante puisse, elle aussi, se concentrer sur d'autres combats.
Mais, il semble que rien n'est jamais définitivement acquis. Ni ici, ni aux Etats-Unis, ni nulle part. Je suis écœurée de voir que les Afghanes n'ont même plus le droit d'aller à l'école, que les Iraniennes continuent à se faire massacrer pour ne pas avoir porté correctement un voile, et qu'elles soient obligées de le porter, qu'elles en aient envie ou non.
Aujourd'hui, je suis fatiguée. Lasse. Dégoûtée de constater que l'on veut restreindre mes possibilités de disposer comme je l'entends de mon utérus. À mes yeux, l'échec de la récolte de signatures pour ces deux initiatives dégueulasses n'est pas une «victoire». C'est un aveu d'échec. Car cela signifie que, malgré les combats menés depuis des décennies, certains - et en l'occurrence, certaines - trouvent légitime de légiférer autour de nos utérus. En 2023. C'est un signal d'alarme. Soyons prêt(e)s.