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Avortement en Suisse: mon utérus et moi, on vous emmerde

Mon utérus et moi, on vous emmerde
Deux femmes UDC ont voulu restreindre nos possibilités d'avorter. C'est pas bientôt fini, ces conneries?Image: keystone / shutterstock
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Mon utérus et moi, on vous emmerde

Le 21 juin, deux initiatives immondes pour réduire le nombre d'avortements ont été avortées. Les initiantes, deux femmes UDC, n'ont pas réussi à récolter le nombre de signatures requis, et la gauche s'en félicite. Désolée, non. Dire «ouf», ça m'emmerde et ça me désole. Aujourd'hui, j'ai honte que mon pays ait «failli» devoir encore se prononcer sur la question.
22.06.2023, 18:51
Margaux Habert
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Avorter, c'est un droit. Point barre.

En Suisse, l'IVG est devenu licite en 2002 «s'il est effectué dans un délai de douze semaines après les dernières règles, ou au-delà dans certaines conditions». En 2002. Hier.

Un droit qui reste fragile, et qui est constamment remis en question. Demandez aux citoyennes des Etats-Unis, vous savez, ce grand pays occidental, à la pointe en ce qui concerne la technologie ou les armes de guerre, et vivant avec un siècle de retard quand il s'agit d'IVG. Demandez à celles qui revendiquent de pouvoir disposer de leur corps comme elles l'entendent. Celles qui craignaient la montée en puissance des ultraconservateurs. Celles qui n'imaginaient pas que leur pays allait régresser sur la question. En 2023.

En Suisse, les deux initiatives qui visaient à réduire le nombre d'avortements ont été lancées fin 2021 par la Bernoise Andrea Geissbühler et la Lucernoise Yvette Estermann. Les textes des deux femmes UDC n'ont pas réussi, malgré des mensonges éhontés balancés pour gratter des signatures, à récolter les 100 000 paraphes nécessaires. Oui, des mensonges.

Une journaliste de 24 heures avait par ailleurs raconté les «arguments» qui lui avaient été présentés lorsqu'on lui avait proposé de signer. Des mensonges sales.

L'un des textes, intitulé «la nuit porte conseil», voulait introduire un délai de réflexion d'un jour avant tout IVG. Comme si nous, les femmes, étions de pauvres petites créatures trop connes pour savoir ce qui est bon pour nous, au fond de nos tripes, sans «dormir dessus».

L'autre initiative voulait «sauver les bébés viables» et s'opposait aux avortements tardifs, soit «quand le bébé peut respirer en dehors de l'utérus, moyennement éventuellement des mesures de soins intensifs». Sachant à quel point il est compliqué en Suisse d'avorter une fois le délai des douze semaines écoulé, ce texte est encore moins compréhensible.

La gauche est soulagée, mais pas moi

Dans Le Temps, la conseillère nationale verte Léonore Porchet se dit satisfaite. Pour la Vaudoise, il était difficile d'imaginer voter sur la question à notre époque:

«C’est une victoire pour la démocratie et une pression en moins pour les femmes concernées. L’idée de devoir faire campagne pour le droit à l’avortement en 2024 me paraissait absurde.»
Léonore Porchet, conseillère nationale verte (VD) dans le journal Le Temps.

Les jeunes socialistes se sont de leur côté réjoui de l'échec des deux initiatives UDC.

Dans un communiqué, l'alliance Pro Choice, qui regroupe plusieurs partis et organisations en faveur d'un libre choix concernant l'avortement, salue un «grand jour pour le droit à l'autodétermination».

«Pour la troisième fois déjà dans l'histoire de la Suisse, il apparaît clairement que le libre choix en matière d'avortements est une volonté populaire»
ProChoice, dans un communiqué.

Et d'ajouter que ce droit doit pouvoir être exercé sans restrictions, sans tutelle médicale et sans jugement de la société, mais au contraire avec le meilleur accompagnement et les meilleurs conseils possibles.

Mais peut-on réellement se réjouir de voir de tels textes se casser les dents dans la rue? Ne devrait-on pas plutôt s'alarmer que de telles initiatives «frôlent» les 100 000 paraphes, en 2023? Alors que d'autres pays occidentaux reviennent insidieusement, sournoisement sur ce droit pour lequel des générations se sont battues durant des décennies?

Va-t-on devoir se battre, encore et encore, non pas pour aller de l'avant, mais pour tenir les murs d'une maison qui semble parfois construite sur des fondations bien fragiles? Va-t-on faire honte à nos mères, nos grands-mères, nos arrières-grands-mères, avec l'arrivée d'autres initiatives telles que celles lancées par ces deux femmes UDC?

Va-t-on un jour remettre sérieusement en question ce droit, au point de criminaliser les femmes qui réclament des avortements, et les médecins qui les pratiquent? Va-t-on à nouveau avorter dans des conditions inhumaines, ici en Suisse, à coups de cintres et d'hémorragies conduisant à d'atroces décès?

Elles reviendront plus fortes

Car même si ces deux initiatives ne verront pas le jour, selon l'ats, la Bernoise Andrea Geissbühler et la Lucernoise Yvette Estermann ne comptent par renoncer pour autant.

«Les forces ont été dispersées»
Yvette Estermann, conseillère nationale UDC (LU).

Des leçons ont été tirées de l'échec des deux initiatives; à l'avenir, les deux femmes UDC veulent se concentrer sur une seule initiative à la fois.

L'interminable lutte doit continuer

Une semaine après la grève des femmes, force est de constater que les combats ne sont jamais gagnés. Lorsqu'un incendie est éteint, c'est un autre départ de feu qui se déclare. Et c'est fatigant. Ça m'emmerde de devoir me battre pour un droit aussi fondamental que le droit à l'avortement. Ça m'emmerde de devoir me battre pour avoir le même salaire que mes camarades détenteurs de pénis. Ça m'emmerde de devoir me battre pour avoir le droit de m'habiller comme je veux, avec une jupe courte si ça me chante, sans me prendre les sifflements d'une bande de connards néandertaliens comme ce fut le cas encore ce matin même en venant au bureau.

J'ai 31 ans et je suis fatiguée de passer pour une emmerdeuse, simplement parce que je veux faire respecter mes droits et mes choix. J'aimerais tellement que la génération de ma petite sœur n'ait pas à se battre pour ces mêmes revendications. Et que la génération suivante puisse, elle aussi, se concentrer sur d'autres combats.

Mais, il semble que rien n'est jamais définitivement acquis. Ni ici, ni aux Etats-Unis, ni nulle part. Je suis écœurée de voir que les Afghanes n'ont même plus le droit d'aller à l'école, que les Iraniennes continuent à se faire massacrer pour ne pas avoir porté correctement un voile, et qu'elles soient obligées de le porter, qu'elles en aient envie ou non.

Aujourd'hui, je suis fatiguée. Lasse. Dégoûtée de constater que l'on veut restreindre mes possibilités de disposer comme je l'entends de mon utérus. À mes yeux, l'échec de la récolte de signatures pour ces deux initiatives dégueulasses n'est pas une «victoire». C'est un aveu d'échec. Car cela signifie que, malgré les combats menés depuis des décennies, certains - et en l'occurrence, certaines - trouvent légitime de légiférer autour de nos utérus. En 2023. C'est un signal d'alarme. Soyons prêt(e)s.

La première grève féministe de Suisse le 14 juin 1991:

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La première grève féministe de Suisse le 14 juin 1991
La première grève des femmes* de Suisse avait impliqué plus de 500 000 femmes à travers le pays.
source: keystone
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