On voit d’ici la scène. Berne, aux aurores. Couloirs et bureaux sentent ce frais mélange d’encaustique et d’eau de parfum. La conseillère personnelle du conseiller fédéral s’apprête à lui résumer la presse du jour. «Je vous préviens, c’est pas génial», dit-elle. «Allez-y!» Elle commence. Il s’emporte: «Mais qu’est-ce qu’il est con! Il comprendra jamais rien.» Elle continue. «Celle-là, j'peux pas la piffrer, faut toujours qu’elle soit négative.» Ainsi de bout en bout.
Eh bien, même ce classique de la toxicodépendance entre politiques et journalistes, aujourd’hui n’existe plus pour Ignazio Cassis. Il y a renoncé.
Il s’est confié là-dessus en public, lors d’un meeting électoral début septembre au Tessin, rapportait lundi le Tages Anzeiger citant des confrères transalpins. Le conseiller fédéral semblait se libérer d’un poids. D’une souffrance trop longtemps endurée. Il s’est plaint comme on se plaint seulement auprès des siens, comme au retour d’un séjour chez des gens avec qui on partage peu de choses, avec lesquels il faut tout le temps composer.
Alors, oui, Ignazio Cassis s’est lâché. Contre la presse. Qui s’en remettra. Mais lui, est-il déjà ailleurs? Ou pose-t-il les jalons de sa future relation avec la corporation des médias? Des médias houspillés comme jamais lors de son quart d'heure tessinois: nous ne devons pas «nous laisser intimider par des articles de journaux débiles», a-t-il lancé tel un populiste du dimanche, debout sur la petite estrade de Sant’Antonino, dans le Sopra Ceneri.
Mais on aurait dit qu’il était là pour se confesser autant que pour attaquer. Comme un abstinent jurant de ne pas replonger, il a dit:
Comment interpréter la diatribe du ministre des Affaires étrangères? N’était-ce qu’on long lapsus, la presse étant un mot pour un autre? Si oui, lequel? Ou plutôt lesquels: Berne, la politique, le peuple? Bref, dans cet adieu aux plumitifs, Ignazio Cassis, rarement loué, souvent critiqué, médecin ignoré durant la pandémie, a peut-être exprimé un ras-le-bol de beaucoup plus.
Psychologie de grotto à 5 heures du matin? C’est possible.
Le proche avenir dira si le conseiller fédéral libéral-radical, qui, à Sant’Antonino, n’a pas fustigé que la presse, la polarisation UDC-PS aussi, a pris ce soir-là, chez lui, au village, une option sur sa retraite ou s’il a, au contraire, bouffé du sanglier pour quatre nouvelles années.