Quel chantier! Oui, c’est un petit coup de gueule personnel, mais aussi une étude (parmi des centaines d'autres) qui le dit: «Une ville disgracieuse, un cadre de vie monotone, saturé de béton et de chantiers, peut générer du stress, de l'anxiété et même de la dépression». No shit. En vrai, personne n'a besoin d'urbanistes empathiques pour savoir qu'un centre-ville balafré vient taper sur les nerfs, avec la même rigueur qu'un marteau-piqueur sur le trottoir d'en face.
Si la misère n'a jamais été moins pénible au soleil, la laideur appelle la laideur. Il suffit qu'un commerce mette la clé sous la porte pour qu'un tag dégueulasse vienne hanter sa vitrine.
A Lausanne, par exemple, pas moyen de faire trois pas sans trébucher sur un satané chantier. Petits, grands, bruyants, tarabiscotés, à rallonge ou carrément abandonnés, les travaux semblent plus nombreux que les dealers à la place Chauderon (bel exploit).
Ne nous méprenons pas. L'amélioration de l'architecture urbaine (au sens large) est sans doute un mal nécessaire. Mise aux normes écolos, tuyauterie qui lâche, autoroute en déroute, pont fissuré, béton périmé, toutes les raisons d'avoir à sortir l'artillerie lourde peuvent certainement se justifier.
Entre l’explosion démographique, les nouvelles lois et les budgets qu’il s’agit de flinguer avant la fin de l’année, la pelleteuse est devenue la sainte patronne de nos agglomérations.
Limiter la croissance dans nos (rares) campagnes crée forcément un embouteillage en ville, surtout dans un pays qui a les moyens de construire et de rénover à une cadence industrielle. Et «ça participe à cette impression de travaux sur travaux», confiait l'urbaniste et architecte Agathe Baillod, sur la RTS, en 2023:
No shit (bis).
C'est le serpent qui se mord la queue, à l'instar du monde fabuleux de la chirurgie esthétique. A trop vouloir ravaler les façades, on n'a plus le temps d'en profiter. A Lausanne, à peine un pont est rénové qu'un nouveau trou se forme à 200 mètres. Pour Dieu sait quoi. Un rond-point à un million? Un espace (pas encore) convivial en bois d'arbre? Un nouvel immeuble immonde?
Car, hélas, les chantiers ne poussent pas toujours pour le mieux. Prenez l'hystérie de la construction en Suisse. Non contente de pourrir nos rétines durant les travaux, elle parvient souvent à faire pleurer nos dernières larmes une fois les échafaudages remisés. Même Le Monde s'était senti obligé d'en parler, en 2024, alors que la France ne manque pas de villes moches, à faire hurler les prisons russes de jalousie.
Figurez-vous, enfin, que les chantiers sont tellement ancrés dans le quotidien des Lausannois, qu'il a été demandé aux artistes du cru de dégainer leurs meilleures œuvres, histoire d'habiller l'éternelle plaie béante de la gare. Et la municipalité semblait satisfaite de cette merde cachée au chat, jeudi, dans le quotidien 24 Heures: «L’embellissement d’un site en travaux fait partie des mesures pouvant être déployées». Soit.
Mais, maquiller des cernes n'a jamais fait disparaître la fatigue. Et on ne vous cache pas qu'on est un peu au bout du rouleau (compresseur).