Quelque chose aurait dû s’enclencher le 7 octobre en Occident qui ne s’est pas enclenché. Résultat: Columbia, Sciences Po, Unil, tant d’autres campus occupés, évacués ou en voie de l’être. Ce quelque chose, c’est un front commun entre partisans de la cause palestinienne et juifs attachés à l’existence d’Israël. Une utopie? Il est des circonstances qui commandent de s’entendre plutôt que de se tourner le dos.
Ce que les camps opposés, en Israël et dans les territoires palestiniens, engagés dans une logique de terreur et de contre-terreur, ne pouvaient manifestement pas entreprendre, nous aurions dû l’entreprendre ici. Au lieu de quoi, nous avons reproduit des schémas connus: la protestation contre Israël, comme en 2009 ou 2014, lors des opérations israéliennes Plomb durci et Bordure protectrice à Gaza déjà.
Nous n’avons pas voulu considérer que le massacre du 7 octobre méritait d’être traité comme tel, une monstruosité et non un acte de «résistance». Nous n’avons pas voulu voir que la riposte israélienne serait terrible. Nous n’avons pas compris que ce qui se mettait en route à compter du 7 octobre était inédit, existentiel dans l’imaginaire israélien, de l’ordre de la survie pour les Gazaouis.
Pourtant, tout était écrit dès les premiers coups mortels donnés par les commandos du Hamas aux habitants des kibboutz «frontaliers» de la bande de Gaza. Certains, côté israélien, se sont dit que la réponse armée serait l’occasion de procéder à un nettoyage ethnique à Gaza. D’autres, côté palestinien, se sont mis à espérer en la chute d’Israël.
C’est visiblement cette chute qu’attendent aussi ceux qui, en Occident, appellent à une «Palestine libre du Jourdain à la mer». Tout en réclamant un cessez-le-feu immédiat, peut-être se disent-ils qu’Israël, en tuant de façon indiscriminée à Gaza, est en train de creuser sa tombe. Le «piège du Hamas».
En réalité, on ne sait pas trop de quoi demain et après-demain seront faits. Il serait étonnant que l’Etat hébreu disparaisse dans les mois prochains.
Les professeurs de l’Université de Lausanne qui soutiennent la mobilisation des étudiants et leur slogan «du Jourdain à la mer» devrait leur dire, s’ils ne l’ont fait, que l’Occident de l’après-guerre s’est bâti sur le «plus jamais ça» renvoyant à la Shoah. La Suisse, la France, l’Allemagne, ne considèrent pas Israël comme un Etat «normal». On ne peut pas faire abstraction de la Shoah, autrement dit de l’histoire de la souffrance juive. Malheureusement, le 7 octobre, beaucoup, en Occident, et malheureusement à gauche, ont ignoré la souffrance juive.
Si nous ne pouvons pas faire grand-chose en Europe pour changer le cours de la guerre à Gaza, au moins devrions-nous veiller à ne pas nous entre-déchirer. Aussi devrions-nous faire en sorte d’être un minimum unis, Juifs, Arabes et autres, de manière à montrer qu’un après pacifique est possible au Proche-Orient.
Pour cela, il faut, dans les communications, faire état du 7 octobre et faire état de la répression à Gaza. Les professeurs, ceux de l’Unil, ceux de Genève et ceux de Zurich, à présent que l'Unige et l'EPFZ annoncent à leur tour des occupations, ont une responsabilité dans la présente mobilisation. Ils ne doivent pas oublier la Shoah, comme pour en dépouiller les juifs au profit des Palestiniens, les nouveaux «génocidés». On ne peut pas raisonner en ces termes.
Il convient, c’est même une nécessité, de prendre en compte toutes les souffrances. L’antisémitisme est en hausse en Occident, le rejet des musulmans probablement aussi. Prenons garde de ne pas accentuer les passions tristes. Les professeurs de Genève, de Lausanne, de Zurich et de toutes parts en Occident doivent montrer l'exemple.