Après Laufen (BL) le 2 juin, Le Locle (NE) le 6 juin, c'est au tour de Jegenstorf (BE) et Küssnacht (SZ), de subir les assauts des malfrats ce lundi 10 juin. La cible: le bancomat du village et la méthode: l'explosif. Pourquoi les criminels choisissent-ils ce modus operandi, quels sont les risques et quelles sont les solutions? Jacques Demierre, spécialiste en explosifs et ancien membre de la police vaudoise nous éclaire.
Faire exploser un distributeur de billets est-elle une méthode efficace pour les malfrats?
Jacques Demierre: Alors oui, la méthode est redoutablement efficace pour les criminels, car elle est très rapide, sinon ils ne prendraient pas autant de risques.
Il n'y a pas de possibilité de casser ces machines, elles doivent être détruites?
Ayant travaillé une dizaine d'années à la police dans ce domaine, je ne souhaite pas amener trop de précisions à ce sujet, mais je vous dirai que l'usage d'explosifs est devenu régulier car les criminels se sont adaptés aux nouvelles technologies de sécurité des machines. Il faut imaginer que les premières attaques de bancomats se faisaient au gaz. Les malfrats mélangeaient deux gaz dans la machine, y mettaient le feu et cela explosait. Par la suite, les fabricants de distributeurs ont mis en place des contre-mesures et les criminels ont commencé à utiliser des explosifs.
Sans entrer dans les détails de composition, à quoi ressemblent les explosifs qui sont utilisés lors de ces attaques?
Ces explosifs ressemblent à de la pâte à modeler. Contrairement à ce qu'on imagine, ce ne sont pas des bâtons de dynamite, c'est beaucoup plus petit.
Les témoins de l'attaque du postomat au Locle ont dit avoir entendu trois déflagrations, est-ce que les criminels ont dû s'y reprendre à plusieurs fois pour éventrer la machine?
Ce n'est pas mon rôle de m'exprimer sur cette affaire en particulier, mais je peux vous dire qu'une explosion suffit à ouvrir la machine.
Quels sont les risques lors de ces explosions de bancomats?
Les risques sont énormes. C'est un miracle que personne n'ait été blessé.
Il faut imaginer que ce sont des explosifs qui sont brisants, ils projettent des éclats avec une énergie cinétique incroyable.
Existe-t-il aussi un risque pour les criminels qui utilisent cette méthode?
Oui, absolument, il faut être un «pro» pour ne pas se blesser. Quand ça saute, il ne faut pas être trop près. Il ne faut pas être dans l'axe du souffle de l'explosion, ce qu'on appelle le blast et bien entendu, il faut éviter les éclats de l'explosion.
Il faut dire aussi que les explosifs utilisés dans la plupart des attaques de bancomat sont très dangereux, ce ne sont pas des matériaux civils, mais militaires.
La police fédérale recommandait de ne pas installer les distributeurs automatiques dans des bâtiments habités à cause des risques pour les habitants, quels sont-ils exactement et qu'en pensez-vous?
Le risque que pourrait subir le bâtiment, c'est l'incendie. Après l'explosion, je pense notamment aux bâtiments en bois, des éléments de l'immeuble peuvent s'enflammer et créer un incendie.
Je pense que ces recommandations sont tout à fait justifiées.
Fedpol expliquait à watson qu'il y avait des risques de trouver des explosifs non déclenchés sur les lieux, peuvent-ils exploser après coup?
Non. Le danger principal réside dans la toxicité des explosifs. Les criminels portent des gants pour ne pas laisser de traces d'ADN et d'empreintes, mais aussi pour se protéger de la toxicité des matériaux utilisés. Le risque c'est qu'après l'explosion, un enfant ou un animal absorbe ces matériaux, c'est extrêmement toxique.
Parlons des criminels à présent, en tant qu'ancien policier, quel regard vous portez sur cette méthode qui selon vous est très risquée?
Je dirais que ces gens n'ont peur de rien. Exploser des bancomats et s'y reprendre à trois fois dans le cas du Locle, c'est un risque énorme.
Je pense que la peur d'être interpellé n'est pas assez importante par rapport à l'acte.
Vous êtes aussi consultant en sécurité pour les entreprises privées, pensez-vous que l'une des solutions serait technologique, soit le blindage des machines par exemple?
Oui, mais ce n'est qu'une partie de la réponse. Comme je vous l'ai dit précédemment, les malfaiteurs s'adaptent aux mesures mises en place.
Il faut aussi voir ce risque-là.
Et le système qui permet de projeter une encre qui souille les billets, est-il efficace?
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais il faudrait développer un moyen plus efficace, car chaque système a une faille. Ce qui m'inquiète le plus, c'est l'emplacement des distributeurs, notamment ceux qui sont installés dans des bâtiments habités comme évoqués tout à l'heure. Les solutions existent, mais elles sont multifactorielles.
Ce que je peux vous dire c'est que les malfrats sont opportunistes, ils font une pesée d'intérêt et n'attaquent pas les bancomats à l'explosif en Suisse par hasard.
Pas de solution miracle alors?
Non, je n'y crois pas. Les bancomats resteront une cible pour les criminels, ce qui importe aujourd'hui c'est de les dissuader d'utiliser les explosifs avant qu'un drame ne se produise.