Trump le matin. Trump à midi. Trump le soir... Qu'est-ce que le président américain vient d'annoncer? Qu'a-t-il déjà décidé? Ou bien est-il déjà revenu sur sa décision? Il serait facile de perdre le fil.
On est sûr que d'une chose: on ne peut être sûr de rien. Au cours des premières semaines de son deuxième mandat, Donald Trump n'a pas commencé par déclencher une guerre commerciale avec la Chine, comme beaucoup l'attendaient et le craignaient.
Non, il s'en est pris directement à ses voisins, le Mexique et le Canada. Ensuite, avec son vice-président JD Vance, il s'est attaqué à l'Europe. Celle-ci n'a pour l'heure pas son mot à dire dans les efforts de paix en Ukraine, mais devra ensuite se débrouiller pour garantir la sécurité du continent. La politique de puissance à l'état pur.
Et la Suisse dans tout ça? Pour elle, nation indépendante, petite économie ouverte au cœur de l'Europe, les temps sont difficiles. Pour ne pas dire mauvais.
A la mi-janvier, à l'occasion du World Economic Forum de Davos, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter a averti que la Suisse devait veiller à ne pas se retrouver entre deux blocs. Rappelons-le: entre l'Europe et les Etats-Unis. Elle l'a fait en pensant à la querelle sur l'impôt de l'OCDE.
Les Etats de l'UE veulent absolument abaisser le taux d'imposition au minimum pour les compagnies internationales. Trump menace de sanctions les états qui prélèvent cet impôt auprès des groupes américains. Voilà des annonces bien inconfortables pour la place économique suisse.
Comment la Berne fédérale réagit-elle au chaos actuel de la politique mondiale? Aucune stratégie claire n'est encore visible. Une fois de plus, le gouvernement multipartite semble avoir du mal à définir une ligne commune.
Seules quelques voix qui s'élèvent permettent de tirer ici et là des conclusions. Par exemple, les mots compatissants de la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter à propos de certains passages du discours controversé du vice-président américain Vance. Ce dernier avait pourtant attaqué frontalement l'UE, vendredi à Munich. Certains y ont vu du «léchage de botte envers les Etats-Unis». D'autres, une tentative d'ouvrir des portes pour la Suisse à Washington.
Il est également évident que l'on s'efforce de continuer à tisser le réseau d'accords de libre-échange, et de le renouveler là où c'est nécessaire. Le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, vient de se rendre en Amérique du Sud, où les négociations avec les pays du Mercosur sont toujours en suspens.
Les accords de libre-échange sont également une priorité au niveau des secrétaires d'État: la secrétaire d'État à l'économie, Helene Budliger, et le secrétaire d'État du DFAE, Alexandre Fasel, se sont tous deux rendus en Inde la semaine dernière. Des discussions sont également en cours avec la Chine, en vue du renouvellement de l'accord de libre-échange.
Il s'agit d'une tentative d'assurer la sécurité juridique avec certains partenaires commerciaux, dans une période où les règles multilatérales sont interprétées selon l'humeur des grandes puissances, voire simplement ignorées. L'objectif est de limiter au maximum les dommages causés par les bouleversements géopolitiques. Mais cela ne va pas plus loin qu'une simple politique de colmatage.
Pour une fois, c'est le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis, conseiller fédéral PLR souvent critiqué pour ses hésitations, qui trouve les mots les plus clairs sur la direction que doit prendre la Suisse:
Le conseiller fédéral a rappelé que notre continent était entouré d'un «cercle de feu», avec la guerre en Ukraine, des troubles dans les Balkans et le Caucase, la guerre au Proche-Orient, des instabilités en Afrique du Nord et des révoltes en Afrique subsaharienne. «Ces crises, amplifiées par le réchauffement climatique, annoncent une catastrophe mondiale».
Un nouvel ordre «sans contours clairs» se dessine, a poursuivi le ministre des Affaires étrangères. Les déclarations du président américain Trump et les réactions des grandes puissances auraient encore renforcé cette incertitude. La Suisse ne peut donc pas se payer le luxe d'affaiblir davantage ses relations avec ses voisins:
Mais cela ne suffit pas. Même après la stabilisation de la voie bilatérale, l'essentiel reste à faire. Le conseiller fédéral pense à la méfiance profondément enracinée à l'égard de l'économie, à la stagnation de la productivité, aux «attentes énormes en matière de redistribution», à la politisation obsessionnelle de la migration, à «l'irresponsabilité généralisée» et au «culte de l'épanouissement personnel».
Tous ces éléments constituent des défis sociaux dans les pays occidentaux, ainsi que des raisons d'agir: «La Suisse ne peut pas se permettre de rester spectatrice, a déclaré Ignazio Cassis, son modèle, aussi robuste soit-il, doit s'adapter.»
En politique intérieure, cela veut par exemple dire qu'il faut «rétablir le sens des responsabilités», «modérer les attentes envers l'Etat» ou «faire de la neutralité un levier stratégique et pragmatique». En politique étrangère, la Suisse doit par exemple, selon le ministre des Affaires étrangères, «contribuer à la sécurité européenne et renforcer l'Ukraine», poursuivre son engagement humanitaire dans le monde, lutter contre le changement climatique, défendre la démocratie, le droit international et les droits de l'homme, et garantir la compétitivité et l'innovation.
Dans le jeu mondial, la Confédération se présente malgré tout avec des atouts forts, a conclu Cassis dans son discours :
Même dans un jeu imprévisible, la Suisse peut anticiper et jouer intelligemment.
Le défi d'Ignazio Cassis reste trouver des majorités pour ses propositions au sein du Conseil fédéral, mais aussi de la population.
Traduit et adapté par Joel Espi