International
Otan

Trump-Poutine: «On assiste à l’agonie finale de l'Europe»

Image

«On assiste à l’agonie finale de l'Europe»

C'est sous couvert d'anonymat que cet officiel au siège de l'Otan, à Bruxelles, a accordé une interview à watson, au moment où Américains et Russes décident, seuls, de l'avenir de l'Ukraine. Ses analyses et prédictions.
19.02.2025, 05:2519.02.2025, 17:48
Plus de «International»

Placé au cœur du système otanien, observateur privilégié d'un monde qui est en train de changer, notre grand témoin requiert l'anonymat pour pouvoir parler plus librement. Derrière une analyse des enjeux du nouvel ordre voulu par Donald Trump, il ne cache pas son pessimisme pour l'avenir du continent européen. Ses arguments reposent sur son expérience des questions stratégiques, au plus proche des puissants.

Le monde est-il en train de changer depuis l’élection de Donald Trump?
Monsieur X: On vit un moment en tout point historique.

«Tout ce qui constituait l’ossature de l’Occident, le droit international, le respect des frontières et des droits humains, est en train de tomber»

Ce changement, pareil à une révolution, est quelque chose à quoi on pouvait s’attendre, dans la mesure où les Américains adoptent une politique de Monroe, en un peu plus extensive. Monroe était ce président du début du 19e siècle, dont la doctrine consista à consolider la sécurité des Etats-Unis en étendant leur pré-carré en direction de l’Amérique latine.

Par où passe aujourd’hui la sécurité des Etats-Unis?
Leur intérêt stratégique, c’est le Pacifique et ce que les Russes appelleraient leur étranger proche. D’où les visées de Donald Trump sur le Groenland et le Panama. Aux yeux des Américains, la priorité, c’est la sécurité des Etats-Unis. Ceux qui ont profité trop longtemps des Etats-Unis vont devoir en payer le prix. Quant à l’Europe, elle n'est pas perçue comme un acteur qu’on peut prendre au sérieux, ce continent étant incapable de gérer ses crises économiques, ses déficits de créativité et de productivité. En plus, l'Europe compte sur les Etats-Unis pour assurer sa sécurité. Les Américains vont à présent se concentrer sur la Chine, le seul adversaire qui leur est digne. Tel est l’état d’esprit américain.

Cet état d'esprit préexistait à l'arrivée de Trump au pouvoir, non?
Oui, mais il a pris une ampleur considérable. Tout retour en arrière semble aujourd'hui impossible. Cela tient au fait que la deuxième administration Trump ressemble peu à la première, puisqu’on ne trouve quasiment plus de républicains traditionnels, avec un sens à la fois de l’Histoire et de la géopolitique.

«Cette nouvelle administration est faite de gens qui ont grandi avec des sources d’information émanant de médias sociaux contrôlés par eux-mêmes, avec des algorithmes qui leur ont dit ce qu’ils avaient envie d’entendre»

Résultat?
Résultat, on a des gens qui croient à leur propre propagande. Une propagande qui dit que l’Europe est un continent perdu. Perdu à cause de l'immigration, à cause de son incapacité à laisser la population s’exprimer. Une propagande qui prétend que l'Europe est de moins en moins démocratique et qu'elle n’apporte, au fond, pas grand-chose aux Etats-Unis. Les Américains se disent qu’il faut parler avec les adultes, Vladimir Poutine le Russe et Ji Jinping le Chinois.

Comment Donald Trump considère-t-il la Russie?
Je me souviens d’une interview que Donald Trump avait accordée à Oprah Winfrey à la fin des années 1980. Il lui disait que les ennemis ne sont pas un problème. Qu'on peut toujours leur parler. Le problème, ajoutait-il, ce sont les amis qui nous exploitent. A l’époque, il parlait du Japon et du Koweït. Il leur reprochait de ne pas payer leur écot aux Etats-Unis, leur protecteur et financier. Pour en revenir au présent, Trump n’a pas de grande hostilité idéologique vis-à-vis Poutine, dans la mesure où ses préoccupations par rapport à l’avenir des démocraties et des libertés sont relativement modestes.

«D’autre part, Trump a un certain respect pour Poutine et son usage brutal de la force. C’est un dirigeant avec qui on peut faire des deals, pas quelqu’un qui t’enquiquine avec des théories sur le genre et l’économie verte»

Russes et Américains se sont mis d’accord mardi à Riyad, en Arabie saoudite, pour dire que l’Ukraine pourrait décider «souverainement» de rejoindre l’Union européenne, mais pas l’Otan. Qu’est-ce que cela veut dire?
La question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan a toujours été une question rhétorique, étant donné qu'il faut l’accord de tous les membres pour faire entrer un nouveau membre. Les Hongrois s’y seraient certainement opposés, peut-être bientôt les Allemands, la Roumanie et les Slovaques. Cela dit, si Trump leur disait que l’Ukraine peut adhérer à l’Otan, ils obéiraient sûrement. C’était donc une question tout aussi rhétorique que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, dont on sait qu’une majorité d’Européens n'en veut pas.

«Autrement dit, l'accord conclu à Riyad sur la non-adhésion de Kiev à l’Alliance atlantique ne change pas grand-chose à la donne»

Pourtant, quelque chose est bel et bien en train de changer.
Oui, et ce qui change est beaucoup plus inquiétant. C’est la perspective d’un désengagement américain en Europe. Que ce soit de manière très pratique ou de manière théorique en affirmant que l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, qui prévoit une assistance mutuelle entre membres en cas d'agression de l'un d'eux, n’engage en rien les Etats-Unis. Le risque, ici, est de donner à Vladimir Poutine un feu vert pour la prochaine étape.

Qui serait?

«La réintégration de la Biélorussie sous drapeau russe et la conquête des pays Baltes. Or, l’Europe est strictement incapable de défendre les pays Baltes sans les Américains, encore moins de les reprendre»

Une force de l’Union européenne pourrait-elle faire office de cordon sécuritaire en Ukraine face à la Russie?
La réponse est absolument claire: non.

Pourquoi?
Parce que, si vous prenez les cinq plus grands pays d’Europe occidentale, France, Allemagne, Pologne, Italie et Royaume-Uni, à eux tous ils auraient de la peine à projeter ne serait-ce que sept brigades sur le terrain ukrainien, soit, à tout casser, 30 000 hommes. Qui plus est sans couverture aérienne complète, sans forces blindées d’envergure, sans la logistique nécessaire, sans les capacités de recrutement et sans puissance nucléaire digne de ce nom, puisque les quelques têtes nucléaires de la France et du Royaume-Uni ne seraient pas engagées pour défendre l’Ukraine, il faut être réaliste. A titre de comparaison, l’armée ukrainienne a 100 brigades.

«Les Européens seraient certes capables d’infliger des pertes aux Russes, mais pas plus»

L’Europe est-elle faible à ce point?
Il reste deux armées puissantes en Europe, la polonaise et la finlandaise. Elles infligeraient des pertes énormes à la Russie si cette dernière les attaquait. Mais aussi bien la Pologne que la Finlande ne sont pas des armées de projection. Ce sont des armées de défense du territoire. Si bien que s’il fallait aller libérer les pays Baltes réoccupés par les Russes, ce serait une autre paire de manches.

«C'est juste un sucre»

Le fait que Poutine, d’accord avec Trump, autorise l’Ukraine à adhérer à l’Union européenne, ce n’est pas quand même pas rien, non?
Le fait que Trump, pour ne parler que de lui, veuille bien que Kiev adhère à l’UE, c’est juste un sucre. Un sucre qui plus est ne l’engage à rien et qui sèmera sans doute la discorde dans les pays de l’UE, sachant que la droite souverainiste s’opposerait probablement à l'entrée de l’Ukraine, vue comme un concurrent commercial pratiquant des prix bas.

Les Européens pourront-ils encore compter sur le parapluie nucléaire américain pour les protéger?
C’est un peu toute la question stratégique pour les années à venir. Parce que, privée du parapluie nucléaire américain, l’Europe continentale est livrée à une invasion conventionnelle russe jusqu’à la frontière française. A partir de là, la dissuasion nucléaire française entrerait en jeu, pas avant.

«L’Europe s’est brisée l’échine en 1914»

N'y a-t-il vraiment aucune capacité de sursaut côté européen?
J’en doute. Parce que les forces qui veulent un sursaut de société dans d’autres domaines, je pense à l’immigration et aux questions sociétales, sont des forces qui, dans le secteur de la défense, sont prêtes à s’entendre avec les Russes. En faisant un constat extrêmement pessimiste, je pense que l’Europe s’est brisée l’échine lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918) et ne s’en est jamais remise.

«On assiste à l’agonie finale d’un continent qui, à la fin du 19ᵉ siècle, était parti pour dominer la planète et qui s’est suicidé»

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) ne fut en réalité qu’une suite de la Première. Supposons qu’un effort gigantesque soit aujourd'hui accompli pour arriver à 4% du PIB pour la défense, où seront les soldats pour servir les armements? Qui ira mourir pour la liberté? La Génération Z, alors que la plupart des pays européens a aboli le service militaire obligatoire? Ira-t-on recruter dans les banlieues pour aller mourir à Kiev? L’affaire se présente mal.

Dés lors, vers quoi va-t-on?

«Je pense qu’on va vers une fragmentation de l’Europe, avec la disparition de l’Union européenne telle que nous la connaissons, en raison de divisions internes»

On ne peut pas exclure que se produisent des scénarios encore impensables il y a deux ans.

Que voulez-vous dire?
Cela relève de la prédiction. A la suite de ce qui se passe aux Etats-Unis, les Américains ayant dit tout haut ce que tout le monde disait tout bas, on va assister à la fin de l’aide au développement, aujourd’hui un cadavre ambulant.

«Avec l’aide au développement, on a remplacé le colonialisme du fusil et de la Bible chrétienne par celui de l’argent et de la bible LGBTQ»

J’espère qu’on arrivera à sauver l’aide humanitaire, qui n’est pas l’aide au développement, mais le soutien apporté aux gens qui ont faim et qui sont malades. Mais très vite, j’en suis sûr, le nouvel ordre politico-moral des Américains va s’imposer en Europe. Une autre chose à laquelle on risque d’assister, c’est à des expulsions de masse – soit dit en passant, le mur de la Méditerranée et du Sahara tue beaucoup plus que le mur de Trump. Les frontières vont se refermer. Les choix en matière d’immigration seront ceux d’une immigration choisie. Et il est bien possible que les plans de type britannique ou italien consistant à renvoyer les demandeurs d’asile au Rwanda ou en Albanie, dans cinq ans, seront la norme.

Votre vision est brutale.
Le monde est en train de changer et il change de manière absolument brutale.

«Si l’Europe n’est pas capable de prendre des mesures, qui seront-elles-mêmes d’une grande brutalité, pour restaurer la crédibilité des Etats, il est à craindre qu’elle ne devienne un grand Liban et cette perspective n’est pas réjouissante»
Ce Suisse a inventé la trottinette des mers
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
16 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
16
D'étranges bateaux chinois inquiètent Taïwan
Des images récentes de navires de débarquement chinois suscitent l'inquiétude. Ils semblent spécialement conçus pour une invasion, notamment de Taïwan.

Les tensions entre la Chine et Taïwan ne cessent de croître. Ce jeudi, le président taïwanais, Lai Ching-te, a qualifié Pékin de «puissance étrangère hostile» et annoncé un plan pour faire face aux menaces chinoises. Parmi ces menaces, il cite l'espionnage, l'infiltration, la tentative de recrutement de cadres taïwanais et une atteinte à l'indépendance du pays.

L’article