Lorsqu'on évoque la consommation de drogue, on pense immédiatement au cannabis, à la cocaïne ou à l'héroïne. Pourtant, bien d'autres produits peuvent être utilisés à ces fins. Comme les médicaments. Les adolescents en savent quelque chose: l'abus de médicaments et leur utilisation en combinaison avec d'autres substances constituent «une pratique dangereuse répandue chez les jeunes», alerte ce jeudi Addiction Suisse dans son Panorama des addictions 2024.
Au total, 12% des ados de 15 ans en ont déjà fait l'expérience en 2022. «Chez les garçons, la consommation de médicaments psychoactifs a beaucoup augmenté depuis 2006 et se maintient stable depuis 2018», indique Markus Meury, porte-parole d’Addiction Suisse. «Chez les filles, les valeurs sont plus fluctuantes, la situation plus variable.»
Les produits concernés sont des tranquillisants (comme le Xanax), des antalgiques opioïdes, ainsi que des sirops contre la toux contenant de la codéine. Mélangés à de la limonade et, parfois, à de l'alcool, ces derniers créent une boisson appelée «purple drank», qui a notamment été popularisée par le rap.
Le «purple drank» est «très présent dans l'univers du hip-hop», souligne Markus Meury. «Certains jeunes ont commencé à prendre ces substances par appartenance à cette culture». Selon une enquête relative à 2022, 6% des garçons et 1,8% des filles en ont déjà fait usage.
Ces produits sont «souvent consommés avec de l'alcool et du cannabis», complète Markus Meury. Une pratique expérimentée par 5,1% des garçons et 8,8% des filles.
Les substances utilisées sont donc variées, à l'image de la consommation. Markus Meury: «Certains jeunes recherchent les effets psychoactifs, se shootent en soirée ou testent des produits».
Cette situation de mal-être juvénile contribuerait à expliquer l'émergence du phénomène. «Une partie des jeunes se sentent moins bien et peuvent, par conséquent, chercher des remèdes pour aller mieux», explique le porte-parole d'Addiction Suisse, tout en soulignant «qu'il n'y a pas de preuve et que les facteurs sont multiples». Si la pandémie a pu «jouer un rôle», la situation «avait déjà été constatée avant».
Un autre élément est lié à «l'omniprésence des médicaments au sein de la population». «On en consomme de plus en plus», poursuit Markus Meury. En effet, plus de la moitié de la population suisse prend des médicaments chaque semaine, selon une récente enquête de l'Office fédéral de la statistique (OFS).
Ce qui est sûr, c'est que cette situation facilite l'accès à ces produits. «Au début, les jeunes s'approvisionnent souvent dans la pharmacie familiale. Les médicaments sont tellement répandus qu'on en trouve souvent à la maison», relate Markus Meury. «Des ordonnances falsifiées circulent sur les réseaux sociaux et sur le darknet, où l'on peut acheter toute sorte de produits», ajoute-t-il.
Telegram regorge de chaînes proposant de tels produits. Les médicaments sont souvent payés en cryptomonnaies et, quelques jours après la transaction, sont livrés dans la boîte aux lettres du client, ou remis à un lieu de rendez-vous convenu.
La pratique n'est pas dépourvue de risques. «Ces médicaments sont tous des downer, ils ralentissent le rythme cardiaque et la respiration», explique le spécialiste.
Pourtant, les chiffres officiels font défaut. Une enquête de la RTS, basée sur les déclarations de certaines polices cantonales, fait état de 33 décès entre 2018 et 2021. «Le nombre réel est probablement plus élevé, donc peut-être environ un par mois en moyenne», commente le porte-parole d'Addiction Suisse. Lequel ajoute: «Nous avons connaissance de plusieurs cas de presque décès, qui ne sont pas rendus publics».
Autre danger: développer une dépendance. «Les personnes qui ont une consommation régulière sont exposées à ce risque», estime Markus Meury. «C'est particulièrement le cas des antidouleurs basés sur des opioïdes, ainsi que des benzodiazépines. Les sirops contre la toux sont moins addictogènes, également parce qu'ils sont souvent consommés dans des contextes précis et pas réguliers, comme des soirées hip-hop.»
Plusieurs mesures permettent de lutter contre le phénomène. Tout d'abord, il est possible d'agir au niveau de l'offre. Markus Meury avance l'exemple des sirops contenant la codéine, «en assez libre accès il y a quelques années encore». Jusqu'à ce que Swissmedic les mette dans une autre catégorie: «Cela a permis de limiter la vente inutile», explique-t-il.
Les autorités ont aussi un rôle à jouer. «Elles sont tenues à mieux contrôler les réseaux sociaux et les sites où l'on peut se procurer ces médicaments», poursuit le porte-parole. Et d'ajouter: «Il faut également renforcer la prévention dans les écoles».