Ce samedi 14 juin, des milliers de personnes vont descendre dans la rue dans toute la Suisse à l'occasion de la grève féministe. Tout comme les années précédentes, une attention particulière sera portée à la lutte contre la discrimination salariale. «L’égalité est encore loin d’être atteinte», rappelle le comité. En effet, selon les derniers chiffres de la Confédération, les femmes gagnent en moyenne 16,2% de moins que leurs collègues masculins.
L'inégalité économique entre hommes et femmes se manifeste de manière particulièrement marquée au sein du couple, où l'écart salarial n'est que l'un des mécanismes à l'oeuvre. C'est ce qu'avance Coline de Senarclens, directrice d'empowr et experte des questions de genre. Laquelle affirme:
Pour comprendre pourquoi, il faut d'abord regarder la société dans son ensemble. «Le patriarcat est une structure sociale qui fonctionne à travers l’exploitation du corps et du travail non rémunéré des femmes», indique-t-elle.
La répartition genrée du travail au sein du couple montre que «c'est toujours le cas aujourd'hui». «Les femmes prennent une part plus importante du travail non rémunéré, tandis que les hommes s'occupent du travail rémunéré», poursuit Coline de Senarclens. Résultat:
Cela est amplement documenté. Pas plus tard que la semaine dernière, l'Office fédéral de la statistique (OFS) indiquait que les femmes consacraient, en moyenne, 32 heures par semaine aux tâches ménagères, contre 22 pour les hommes. La préparation des repas et la prise en charge des enfants affichent les écarts les plus importants.
Cette situation peut s'accompagner d'une perte directe de salaire, coïncidant avec l'arrivée des enfants. Un événement qui pousse souvent les femmes à baisser leur temps de travail, voire à quitter totalement le monde professionnel, souligne Coline de Senarclens.
Une fois de plus, cela se reflète dans les chiffres officiels. En 2024, près de six femmes sur dix travaillaient à temps partiel en Suisse, contre 20,5% des hommes. «Un poste à temps partiel est souvent synonyme de conditions d’emploi précaires, d’une couverture sociale insuffisante et d’obstacle à la réalisation d’une véritable carrière», rappelle l'OFS. Coline de Senarclens complète:
A cela s'ajoute encore la fiscalité helvétique, «particulièrement gourmande sur le deuxième salaire». «Il s'agit souvent de celui des femmes, puisque deux tiers des femmes gagnent moins que leur conjoint», précise la directrice d'empowr.
Ce clivage genré est «extrêmement net en Suisse», résume la spécialiste. Toujours selon l'OFS, l'écart salarial grimpe à 25% pour les personnes mariées, contre 16% au niveau de la population globale. Et les choses ne s'amélioreraient pas avec le temps, bien au contraire: «Cette différence s'accentue encore à la retraite, puisque l’écart de rente atteint 30,8%», déclare Coline de Senarclens.
Une éventuelle séparation empire encore la situation. «La recherche montre que, après un divorce, les femmes perdent 38% de leur revenu, contre 7% pour les hommes», complète Coline de Senarclens. En Suisse, cela concerne jusqu'à deux mariages sur cinq.
Un vaste ensemble de représentations sociales renforce encore ces inégalités structurelles. La répartition des dépenses au sein du couple en est un exemple. «Les coûts sont souvent partagés à parts égales, bien que les revenus ne le soient pas», illustre la directrice d'empowr.
«Les couples devraient penser à une gestion de l’argent égalitaire, mais, dans les faits, cela n'arrive que très rarement», déplore-t-elle. «On considère encore que, quand on s’aime, on ne devrait pas parler d’argent et compter. C'est à la fois culturel et structurel. Tout est très imbriqué».
Les représentations de la masculinité jouent également un rôle, notamment au moment où «l'on assiste au retour du masculinisme et à la valorisation des modèles traditionnels», affirme encore Coline de Senarclens. «D'autres voies, qui insistent par exemple sur le partage des tâches ménagères, sont possibles», dit-elle.
La directrice d'empowr remarque que cela doit aussi s'accompagner d'un changement au niveau des politiques publiques. La normalisation du temps partiel chez les hommes et de meilleurs congés paternité en sont des exemples.
De même, des politiques publiques proactives pourraient encourager les femmes à garder un travail rémunéré, conclut-elle. «Cela pourrait prendre la forme d'impositions plus justes pour le deuxième salaire ou de meilleures prises en charge des enfants».