Le mois dernier, à l'occasion de la Saint-Valentin, la boutique d'articles érotiques suisse Amorana a lancé un tout nouvel article, le soi disant «chocolat aphrodisiaque». Fabriquées par le chocolatier britannique Playmate, ces pralines sont censées «stimuler le désir» et «augmenter le plaisir», grâce à l'action de plusieurs ingrédients naturels.
Au Royaume-Uni, leur succès a été fulgurant, rapporte la presse anglaise. En Suisse aussi, il semblerait que ces chocolats aient trouvé leur public. Amorana nous indique que «le lancement a été un succès» et que les ventes sont «très satisfaisantes». Sur son site, l'article est actuellement en rupture de stock.
Ces pralines ne sont que le dernier exemple d'une tendance bien plus importantes: depuis quelques années, les compléments alimentaires de ce type cartonnent dans notre pays. Tout en mettant en avant leur composition naturelle, ces produits promettent d'augmenter la libido, mais aussi d'améliorer les performances sexuelles et de lutter contre les troubles érectiles.
«Ce type de produit a toujours rencontré un franc succès auprès de notre clientèle», souligne le site KissKiss, qui en vend «depuis environ 5 à 10 ans». La réglementation helvétique en la matière s'étant durcie, la plateforme a décidé de «collaborer en grande majorité avec des fabricants suisses». La marque valaisanne Alpx, basée à Loèche-les-Bains, en fait partie.
Alpx propose une vaste gamme de compléments alimentaires, dont trois produits ciblant explicitement la libido. Le premier, appelé «Booster for him», a été lancé en 2019 et promet d'aider à «lutter contre le manque de désir, les troubles érectiles et la baisse de testostérone». Amelie Rothfuss, responsable marketing de la marque, déclare:
A cela s'est ensuite ajoutée une version pour femmes, moins axée sur la performance, ainsi qu'un retardant pour hommes, censé «prolonger les rapports sexuels et retarder l'éjaculation». Ces deux produits se vendent également très bien, selon Amelie Rothfuss.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le succès de ces compléments, à commencer par leur côté naturel. «Ils sont souvent perçus comme une alternative sans ordonnance au Viagra et à d’autres traitements médicaux», explique le porte-parole de de KissKiss.
«Mettre l'accent sur le côté naturel évite de devoir faire le lien avec la médicalisation et la pathologisation des situations que ces compléments sont censés régler», confirme Camille Saltiel, sexologue et consultant spécialiste des masculinités pour Sexopraxis, à Lausanne. «Nos produits répondent à un vrai besoin», assure Amelie Rothfuss. Et d'ajouter:
Plus largement, les compléments reflètent les injonctions et les représentations dominantes en termes de sexualité, en particulier vis-à-vis des hommes, indique Camille Saltiel. «Le focus est mis sur la performance et l'érection, qui sont deux dimensions emblématiques de la masculinité d'aujourd'hui».
Camille Saltiel rappelle que la performance constitue «un enjeu central dans le rapport des hommes à la sexualité». «Etre performant et durer longtemps sont presque des questions identitaires», argumente-t-il. «Ces injonctions sont très fortes et, par conséquent, ont une grande influence sur le regard que les hommes portent sur eux-mêmes».
L'accents sur la libido, bien qu'apparemment plus nouveau, renvoie également à la même injonction à la performance, ajoute le sexologue:
Reste à savoir si ces compléments fonctionnent vraiment. Sur son site, Alpx met en avant l'efficacité de son «Booster for him», certifiée par «84% des consommateurs», alors que la version pour femmes serait recommandée par «89% des testeuses».
«Bien sûr, nos produits n'ont pas le même effet que le Viagra ou d'autres médicaments», nuance Amelie Rothfuss. «Ils ne sont probablement pas aussi forts, et agissent différemment d'une personne à l'autre, puisqu'il s'agit de compléments alimentaires».
Camille Saltiel souligne toutefois que la baisse de la libido peut s'expliquer par de nombreux facteurs, tels que le stress, la fatigue, ou l'état de la relation. «Il est donc réducteur de vouloir régler cela avec un seul produit. C'est une solution de facilité», complète-t-il, tout en précisant ne pas porter de jugement particulier vis-à-vis de ce type de produits. «En tant que sexologues, nous considérons toujours ces questions de manière multifactorielle».
Finalement, Camille Saltiel rappelle que la sexualité reste encore un sujet tabou dans notre société, ce qui peut également avoir un impact sur le succès de ce type de produits.
«On peut les commander sur internet, sans devoir en parler et avoir à se confronter à un professionnel», illustre-t-il, avant de rappeler que, dans les faits, les dysfonctionnements érectiles sont extrêmement répandus. Environ 8% des hommes âgés de 20 à 29 ans seraient concernés par ce phénomène, un pourcentage qui augmente avec l'âge.