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«Il faudrait trouver la manière suisse de se mettre en colère»

L'artiste genevoise MissMe.
L'artiste genevoise MissMe.Image: watson/Instagram

«Il faudrait trouver la manière suisse de se mettre en colère»

24 femmes ont été tuées en 2025 par des hommes. Pourtant, la colère peine à exploser en Suisse. Pourquoi? L'artiste genevoise MissMe a placé cette émotion au cœur de son art. Elle apporte son éclairage.
25.11.2025, 18:5725.11.2025, 18:57

L'année 2025 est l'une des plus meurtrières en Suisse pour les femmes. 24 féminicides ont été recensés. L'un des derniers a eu lieu le 8 novembre à Lausanne. Malgré ces chiffres alarmants, la colère n'explose pas au sein de la population. Cette émotion s'est pourtant récemment observée dans le pays lors des manifestations pro-palestiniennes à Berne en octobre dernier.

Pourquoi les violences envers les femmes ne déclenchent-elles pas une telle réaction?

Ce 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, l'artiste genevoise MissMe apporte son éclairage sur cette question. Vendredi dernier, lors de l'événement TedxLausanneWomen, elle a livré un discours poignant sur la colère féminine, élément central de ses œuvres réalisées pour la plupart dans la rue.

L'artiste genevoise MissMe lors de l'événement TedxLausanneWomen.
L'artiste genevoise MissMe lors de l'événement TedxLausanneWomen, le 21 novembre 2025 au SwissTech Convention Center.Image: MUTO

En tant que femme, il est difficile d'exprimer sa colère. Comment l'expliquer?
MissMe: Les émotions, comme beaucoup d'autres éléments arbitraires, ont été divisées entre deux genres: le masculin et le féminin.

«La colère appartient au masculin. La tristesse, par exemple, au féminin»

La colère n'est pas valorisée chez les femmes, car elle ne nous correspond pas: on nous dit de ne pas trop en faire, que notre personnalité ne doit pas être trop forte – il ne faudrait pas froisser certains égos masculins. Dès lors, quand nous exprimons ce sentiment, c'est comme si nous étions «moins femme». Alors qu'il s'agit d'une fonction biologique humaine.

«La colère, c'est ce que l'on vit lorsqu'on perçoit une injustice. Elle crée une énergie qui permet de se focaliser sur l'événement et de rétablir un équilibre et une dignité entachée»
L'une des oeuvres de l'artiste genevoise MissMe.
L'une des œuvres urbaines de MissMe.Image: Instagram @miss_me_art
L'artiste genevoise MissMe au Mexique.
L'artiste genevoise au Mexique.Image: instagram

C'est-à-dire?
Quand quelque chose a été violé – une valeur, par exemple –, on se met en colère. Les femmes vont le vivre, mais elles n'auront pas le droit, l'espace pour l'exprimer. Elle brûle à l'intérieur, puis se transforme en dépression et en honte.

«La honte est un système de contrôle sur les femmes mis en place par la société sans que personne n'ait rien à faire, parce que nous l'avons intégré»

D'ailleurs, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les femmes sont plus prônes à la dépression et aux maladies auto-immunes. D'après moi, cela s'explique par la colère qui n'est pas rejetée à l'extérieur et qui bouffe.

Qui est MissMe?
MissMe est née à Genève et vit depuis de nombreuses années à Montréal. Elle a été nommée parmi les 15 artistes féminines qui révolutionnent le street art. Au travers de ses œuvres, elle affirme le pouvoir des femmes sur leur propre corps et s'impose comme l'une des voix de l'art féministe urbain en Amérique du Nord.

Pour plus d'informations, cliquez ici.
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Il est donc essentiel de l'extérioriser.

«La colère permet d'imposer la validité de son expérience. C’est une manière de se défendre quand on se sent attaquée»
Miss Me, artiste.

En revanche, si tu acceptes de prendre sur toi et de laisser faire, même lorsqu'on te fait subir des choses qui ne sont pas correctes ou que tes limites sont passées outre, c'est comme si ce que tu avais vécu est moins important que ce que l'autre vit.

«Si on ne se met pas en colère, on disparait»

Pourquoi faut-il le faire publiquement?

«Parce que la honte isole»

En s'exprimant, d'autres femmes pourront s'identifier à un discours, une expérience, et se rendre compte qu'elles ne sont pas seules.

«Il faut être vulgaire, ne pas fermer sa gueule. Les mots résonnent plus fort quand on les dit de cette façon. Ça fait du bien de dire: "Merde!"»

Pour quelles raisons la colère est-elle au centre de votre art?
J'ai été sexualisée très jeune et rendue responsable du regard et des comportements des hommes, en particulier de ceux plus âgés. Cette honte était trop lourde à porter et je la refuse. C'est pour cela que je me dessine nue et en colère: je ne suis pas dans la séduction. Dès lors, les gens sont mal à l'aise, car ils ne savent pas à quoi sert un corps de femme s'il n'est pas un objet de désir.

24 féminicides ont eu lieu en Suisse en 2025. Mais la rue ne s'enflamme pas. Les manifestations se font majoritairement dans le silence. Pour quelles raisons la colère ne se fait pas entendre?
Je n'ai évidemment pas la réponse.

«Mais dans la culture suisse, on ne se fâche pas»

Ce qui n'est pas négatif, au contraire: tu peux être en colère et renvoyer un message fort sans être violent. Il est important de ne pas confondre les deux. La violence décrédibilise, elle n'aide pas et créé d'autres problèmes. L'important est de faire avancer la société et non d'avoir absolument raison.

«Il faudrait trouver la manière suisse de se mettre en colère»

Être inflexible, sûr de soi, savoir où l'on va, prendre des décisions, ne plus se laisser faire et mettre des limites. La grève féministe du 14 juin est un bon exemple: des meufs qui s'arrêtent de tout faire, plus rien ne fonctionnait. C'est brillantissime.

En Italie, le féminicide de Giulia Cecchettin en 2023 avait fait beaucoup de bruit. La photo de la victime avait largement été diffusée et sa sœur avait appelé la population à se faire entendre. En Suisse, que faudrait-il faire pour déclencher la même réaction?

«Ces femmes doivent être vues et leurs histoires racontées. Les gens comprendront ainsi que tout le monde peut être touché par les féminicides»

Je prends l'exemple de Mahsa Amini en Iran (réd: tuée en 2022 par la police des mœurs iranienne pour «port de vêtements inappropriés»). Un bruit immense a été fait autour d'elle, son visage a été affiché partout. Les personnes en ont parlé, parlé, parlé jusqu'à ce qu'une frange de la population se dise: «Ce ne sont pas toujours les autres qui sont touchés. Cela peut m'arriver.»

«Si la thématique des violences faites aux femmes devient fréquente dans les discours, les victimes se sentiront moins honteuses. Le tabou est notre ennemi»

Au bout d'un moment, les politiques s'empareront du sujet et mettront en place des actions pour que les femmes puissent s'en sortir. Malheureusement, il faut qu'elles s'en prennent plein la tronche pour que la situation évolue.

«Mais la colère est un moteur. Tu peux faire beaucoup de choses si tu sais la gérer et la dompter»
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source: clcpc
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