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Fribourg

On a lu les procès des sorciers et sorcières suisses

On a consulté les archives des procès pour sorcellerie de Fribourg.
Archive d'un procès pour sorcellerie qui s'est tenu à Fribourg.Image: watson

«Elle a baisé le cul du diable»: On a lu les procès des sorcières suisses

Ce jeudi 19 septembre, une conférence sur les chasses aux sorcières en Romandie aura lieu à Fribourg. L'occasion de se plonger dans les archives cantonales et de parcourir les procès. Qui étaient celles et ceux accusés de sorcellerie? Et qu'est-ce qui leur était reproché? Reportage.
17.09.2024, 19:0318.09.2024, 13:36
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Nous avons rendez-vous au dernier étage des archives de l'Etat de Fribourg. C'est dans ce bureau que Lionel Dorthe, historien, conserve une partie des ouvrages qui recensent les interrogatoires conduits dans les tours de la ville, du 15e au 18ᵉ siècle. Sur la table trône un énorme livre datant du 17ᵉ siècle, que l'on ose à peine feuilleter. «J'ai les mains propres», assure-t-il en touchant le manuscrit ouvert à la page 227. En haut, on lit la date: 23 juillet 1622.

Archives des procès-verbaux de Fribourg.
Les «registres des tours» recensaient les procès des personnes accusées de divers crimes. Image: watson

C'est à peu près tout ce qu'un œil non avisé est capable de déchiffrer. A mesure que l'on tourne délicatement les pages, on réussit tout de même à lire les noms qui défilent. Aux côtés des voleurs et assassins se trouvent celles et ceux accusés de sorcellerie. Un pan de notre histoire qui fera l'objet d'une conférence ce jeudi 19 septembre à Fribourg, animée par Cyril Dépraz, auteur du podcast Au terrible temps des sorcières, et Lionel Dorthe.

De 2016 à 2022, Lionel Dorthe et sa collègue Rita Binz-Wohlhauser se sont plongés dans les archives fribourgeoises et ont lu l'ensemble des procès-verbaux d’interrogatoires criminels répartis dans plusieurs dizaines de registres, ainsi que les décisions de justice. Le but? Recenser, éditer puis mettre en ligne les 360 procès pour sorcellerie qui ont eu lieu à Fribourg, du premier en 1493 au dernier en 1741. La création d'une telle base de données est une première en Suisse, pays qui a connu l'une des «chasses aux sorcières» les plus sanglantes d'Europe.

Lionel Dorthe, professeur à l'Université de Fribourg et historien.
Lionel Dorthe, historien et professeur à l'Université de Fribourg.Image: unifr

Faire tomber la grêle

Que contiennent donc ces archives? Lionel Dorthe prend sous les yeux le procès de Marguerite Python, en prison «à cause de mauvaises langues» – les suspicions commençaient en effet toujours par des rumeurs au village. Il lit à haute voix et traduit le texte écrit en franco-provençal. Devant le juge, Marguerite revient sur sa vie, «chez qui elle était lorsque la tempête est survenue», et assure qu'elle n'a presque pas vu la grêle.

«Elle est accusée d'avoir fait tomber la grêle»
Archives des procès-verbaux de Fribourg.
Le procès-verbal de Marguerite Python.Image: watson

Une autre accusation qui revient souvent à Fribourg? Le fait de faire baisser la production de lait. Les frères Rimy par exemple, deux riches paysans, ont été accusés vers 1630 par les voisins de voler le lait de leurs vaches en utilisant des incantations magiques. Ils ont cependant réussi à se défendre en fournissant «une explication scientifique bluffante», relaye l'historien.

«Les frères Rimy expliquent qu'ils donnent du meilleur fourrage l'hiver et qu'ils font des centaines de kilomètres pour acheter une race de vache à Schwytz, les meilleures pour la production laitière. Le juge les relâche malgré les soupçons, car sans aveux il n'y a pas de condamnation.»

Deux profils de «sorcières» et «sorciers» bien différents l'un de l'autre. A l'époque en effet, comme le démontrent les archives, tout le monde, de 8 à 88 ans, pouvait être accusé de sorcellerie: les enfants, les personnes âgées, les riches paysans, les pauvres lavandières. Lionel Dorthe donne même l'exemple d'un juge.

Archives des procès pour sorcellerie de Fribourg.
Au total, plusieurs dizaines d'ouvrages comme ceux-ci ont été épluchés afin d'extraire les procès pour sorcellerie.Image: watson

Tous avaient, toutefois, bel et bien un point commun: il s'agissait «de têtes qui dépassent». Des gens à l'écart, qui pensent et vivent autrement ou qui attisent les jalousies. Des «boucs émissaires tenus pour responsables de tous les malheurs quotidiens», en particulier ceux qu'on ne pouvait pas expliquer, tels que les phénomènes naturels qui détruisaient les récoltes.

Et puis, au fil des siècles, les femmes seront de plus en plus accusées et condamnées pour sorcellerie. En cause? L'évolution des pratiques judiciaires d'une part, face auxquelles les femmes, plus fragiles socio-économiquement, étaient plus vulnérables. Et d'autre part le fait que souvent, elles s'accusaient entre elles.

Intime conviction de faire juste

Pour être reconnu coupable de sorcellerie, il fallait répondre de deux chefs d'accusation:

«Avouer ce qui nous était reproché et confesser avoir prêté allégeance à Satan»

Lionel Dorthe revient sur l'histoire de Jeanette qui, en 1493, racontait au juge qu'elle était malheureuse et qu'elle avait rencontré un homme qui avait des pieds crochus, qui était habillé en noir et qui s'appelait Satana. Elle aurait ensuite renié Dieu:

«Elle était accusée d'avoir baisé le cul du diable»

Les interrogatoires – conduit sous la torture, légale à l'époque – commençaient d'ailleurs par ces questions: quand avez-vous rencontré Satan? Sous quelle forme? Comment était-il? Si la personne avouait les faits reprochés, elle était condamnée à mort, le plus souvent suppliciée par le feu sur la colline du Guintzet. Des détails retranscrits noir sur blanc dans les archives. «C'était difficile de rentrer à la maison avec toute cette souffrance», confie Lionel Dorthe, qui rappelle que ces gens étaient innocents.

Archives de l'Etat de Fribourg.
Archives de l'Etat de Fribourg.Image: watson

Les accusés ne subissaient cependant pas tous le même sort. Dans près de la moitié des cas en effet, les personnes qui n'avouaient pas les crimes – comme les frères Rimy – étaient bannies du territoire fribourgeois ou assignées à résidence.

«Il faut garder en tête que les juges avaient l'intime conviction de faire juste, d'agir pour le bien commun et de faire mieux que leurs prédécesseurs», rappelle l'historien.

«Les gens croyaient au diable, à la sorcellerie, à la magie. Ils étaient persuadés qu'ils combattaient un danger»

C'est d'ailleurs ces croyances surnaturelles qui expliqueraient pourquoi le sujet des chasses aux sorcières – que Lionel Dorthe préfère appeler «phénomène de persécution» – a été rejeté et mis de côté dès le 19e siècle. Une période «peu glorieuse» qui s'est en effet vite transformée en mythologie, en «temps obscurs où les superstitions prévalaient», souligne-t-il. Et de s'interroger:

«Mais dans 400 ans, avec les sources que nous laisserons, qu'est-ce qu'il sera dit de nous?»

La conférence sur inscription «Fribourg au terrible temps des sorcières» aura lieu ce jeudi 19 septembre de 18h à 19h30 à MEMO.

Un ancêtre accusé de sorcellerie?
Le travail de Lionel Dorthe et Rita Binz-Wohlhauser a été réalisé dans le cadre d’un projet de la Fondation des sources du droit suisse.

Les procès pour sorcellerie de Fribourg sont accessibles au public en ligne. Ils sont dotés d'un moteur de recherche qui permet d'entrer des mots-clés comme le nom d'une personne, d'une famille ou d'un village.

Pour faire vos recherches, rendez-vous ici: editio.sds-online/FR.
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