Imaginez qu'une ville de la taille de Sion, Fribourg ou de Zoug se retrouve soudainement sans gouvernement ni parlement. Voilà précisément ce qui devrait se passer à Vernier dès le 1ᵉʳ juin. La discrète commune genevoise, dans l'ombre de la cité de Calvin, fait tout de même partie des vingt plus grandes villes du pays, avec ses 37 800 habitants.
Les membres de l'exécutif désignés ce printemps auraient dû prêter serment mardi soir. Comme ceux de toutes les autres communes genevoises. Mais des soupçons de manipulation électorale ont empêché l'investiture à Vernier. «Cela donne une image déplorable de notre commune», estime un député PLR réélu.
On rembobine: fin mars, lors du premier tour, le parti Liberté et Justice sociale (LJS) – fondé par un certain Pierre Maudet, membre du gouvernement genevois – fait son entrée au parlement de la ville. Elle en devient la troisième force politique. Une analyse des comportements de vote réalisée par La Tribune de Genève a toutefois éveillé des soupçons.
En effet, plus de 600 bulletins de vote LJS avaient été modifiés de manière similaire: certains noms ont été supprimés et systématiquement remplacés par deux ou trois candidates, toujours les mêmes. Il s'agissait d'une socialiste d'origine turque, d'une libérale-radicale d'origine camerounaise et d'une représentante du Mouvement Citoyens Genevois (MCG) d'origine kosovare. Ces trois femmes plutôt novices en politique ont donc réalisé des scores canon.
Pourquoi les électeurs du mouvement de Maudet auraient-ils, en masse, choisi trois candidates issues d’autres partis, en l’absence de toute consigne de vote officielle ou d’une mobilisation explicable par des affinités culturelles?
Le résultat des législatives a été contesté aussi bien par les milieux centristes que par les Verts, le PS et le PLR. Le parti LJS a pour sa part déposé un recours fin avril après le deuxième tour: leur candidat a massivement perdu des voix par rapport au premier tour. Les sympathisants dénoncent une couverture médiatique «tendancieuse» des soupçons de manipulation.
Le gouvernement genevois voulait annuler l'effet suspensif des recours pour permettre aux députés de se mettre au travail. Devant la Cour constitutionnelle, le Conseil d'Etat a mis en garde: Vernier risque de se retrouver «plusieurs mois, voire plusieurs années» sans parlement, jusqu'à la décision finale de la justice. Cela n'a pas marché: la Cour ne procédera à aucune investiture tant que les reproches n'auront pas été clarifiés. Un jugement avant le début de la législature, le 1er juin, semble irréaliste.
Des sources bien informées s'attendent à ce qu'il ait lieu dans les prochaines semaines – ce qui ne signifiera pas pour autant que la procédure sera forcément terminée. Il pourrait y avoir un nouveau recours. Vernier tente donc de rassurer sa population: l'administration ne s'arrêtera pas, la commune tient son budget et elle pourra payer ses fonctionnaires.
De son côté, le canton travaille sur «une vingtaine de scénarios», se préparant à toute éventualité. Le Conseil d'Etat prendra, lui, des décisions en temps voulu, si nécessaire et en fonction de l'évolution de la situation. Il pourrait par exemple faire appel à des administrateurs temporaires.
Les cas où un canton doit intervenir et imposer une aide extérieure sont «très rares» dans notre pays, selon l'Association des communes suisses. Cela s'est vu dans un passé proche à Vuisternens-en-Ogoz (FR), en 2008, ou à Zullwil (SO), en 2018, - des petites communes plutôt qu'une ville. Voilà pourquoi la RTS parle d'une première nationale, d'autant plus qu'à Vernier, exécutif et législatif devraient simultanément faire défaut.
La cité genevoise ne brille donc pas spécialement en matière de politique communale. Ironie du sort: l'Association des communes suisses s'y réunira justement le 6 juin pour son assemblée générale annuelle. «Cela a été fixé l'été dernier», indique l'association.
(Adaptation française: Valentine Zenker)