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Suisse: cette «sorcière» torturée porte mon nom

Cette possible ancêtre était-elle une sorcière? Je suis allé aux archives de l'Etat de Fribourg pour en savoir plus.
Cette possible ancêtre était-elle une sorcière? Je suis allé aux archives de l'Etat de Fribourg pour en savoir plus.watson / Collection Philippe Zoummeroff / montage

J'ai retrouvé la trace de cette «sorcière» torturée qui porte mon nom

Et si vous aviez une ancêtre sorcière? Je me suis posé la question en plongeant dans les archives de l'Etat de Fribourg. J'y ai retrouvé une villageoise qui porte mon nom, torturée pour trois fois rien en 1652. Voici l'histoire de Vincenza.
26.10.2025, 18:5827.10.2025, 18:49

Les sorcières inondent l'imaginaire collectif des années 2020. Remises au goût du jour par les historiens, glorifiées par les féministes, elles viennent nous rappeler que l'histoire n'est jamais ni blanche, ni noire.

A l'origine de cet article, une remarque de ma collègue Alyssa sortant des archives de l'Etat de Fribourg, il y a une année. Elle a vu de ses propres yeux, dans un vieil et épais ouvrage où étaient notifiés les procès en sorcellerie du 17e siècle, mon nom de famille:

«Tu viens de Fribourg, non? Il y a une femme accusée de sorcellerie qui s'appelait comme toi»

Bien vu. En lançant une recherche sur la base de données dédiée aux procès en sorcellerie dans le canton, je trouve la trace d'une certaine Vincenza Cantin-Cudré, accusée de sorcellerie en 1652. Elle est originaire de la commune d'Autigny, d'où vient ma famille et où j'ai passé mon enfance. Un procès parmi les 380 répertoriés, sur lequel ma collègue est tombée par hasard: la coïncidence est troublante, mais réelle.

S'agit-il d'une de mes ancêtres? Que lui est-il arrivé? Je me rends aux archives de l'Etat de Fribourg, sur la Route des Arsenaux, pour obtenir des réponses. Lionel Dorthe m'attend dans son bureau, situé sous les combles du bâtiment. Un large livre rempli d'ancestrales écritures trône, ouvert, sur une table.

Je suis allé aux archives de l'Etat de Fribourg pour savoir si une de mes possibles ancêtres a été accusée de sorcellerie.
Je parle bien allemand, mais là, c'est du costaud.watson

L'injure

Les évènements ont eu lieu du 3 au 11 septembre 1652. L'ouvrage relate le procès de Vincenza Cantin-Cudré, une veuve qui réside dans le village de Magnedens et qui fait désormais partie de la commune de Gibloux.

Tout commence par une injure. Vincenza est insultée par une autre villageoise, Catherine Chappuis, à cause d'une affaire d'argent. L'Amtsmann, le notable local, lui incombe de payer son dû.

«C'est une simple querelle, mais qui semble assez importante pour ébranler le village et arriver aux oreilles des autorités fribourgeoises»
Lionel Dorthe, historien
Je suis allé aux archives de l'Etat de Fribourg pour savoir si une de mes possibles ancêtres a été accusée de sorcellerie.
La première trace écrite de l'affaire est présente dans l'ouvrage.Image: watson

L'enquête

Les autorités ordonnent au bailli d'Illens, dont dépend Magnedens, de mener l'enquête, «en secret». Il agit d'abord comme un enquêteur auprès des villageois, puis comme un procureur en charge de l'instruction du dossier. Il apprend que Vincenza est «mal considérée», c'est-à-dire de mauvaise réputation, et que deux personnes l'ont traitée de sorcière.

«Elle est marginalisée au sein de son village et les témoignages s'accumulent contre elle»
Lionel Dorthe, historien

Le bailli aurait pu classer l'affaire, mais ces accusations graves le forcent à notifier le cas en plus haute instance.

L'inculpation

Deux jours plus tard, le Petit conseil fribourgeois — équivalent actuel du Conseil d'Etat — prend position:

«Vincenza Cantin, soupçonnée de sorcellerie, doit être visitée, interrogée et soumise trois fois à la torture»

«C'est la procédure habituelle pour une accusation de sorcellerie», explique Lionel Dorthe. «En 1652, c'est le Petit conseil, un organe politique, qui rend la justice. Ses membres font leur travail de juriste et appliquent le droit en vigueur.» Tout ce qui va suivre était le fait des autorités civiles de l'époque. Malgré des idées préconçues, l'Eglise catholique n'est pas impliquée dans ces procès.

L'inspection

Le jour même, le 6 septembre 1652, Vincenza est amenée à la «mauvaise tour» de Fribourg pour la suite de la «procédure». Située entre la cathédrale et la porte de Morat, on y trouve aujourd'hui le Musée d'art et d'histoire. Une petite délégation composée d'un juge, qui est en fait le tortionnaire, de deux membres du Petit conseil et de trois membres du Grand conseil, sont présents.

«C'est un genre de tribunal itinérant qui se rend dans les prisons»
Lionel Dorthe, historien

La suspecte est d'abord «visitée»: on l'inspecte pour vérifier si elle porte la «marque du diable». Mais ce n'est pas le cas. «Elle a eu de la chance», note Lionel Dorthe.

«Il aurait suffi qu'elle ait eu une tache de naissance ou une vilaine cicatrice pour qu'on lui attribue un lien avec le diable»
Lionel Dorthe, historien

La torture par «simple corde»

Puis, la première phase de torture commence. La méthode: l'estrapade, une technique courante à l'époque. Les mains attachées dans le dos, Vincenza est soulevée de terre, maintenue en l'air, puis relâchée au sol.

Je suis allé aux archives de l'Etat de Fribourg pour savoir si une de mes possibles ancêtres a été accusée de sorcellerie.
Une illustration de l'estrapade.watson

Le procédé est particulièrement douloureux pour les épaules et peut laisser des séquelles. On lui fait d'abord subir la «simple corde», c'est-à-dire sans poids supplémentaire.

L'interrogatoire

Durant la torture, la pauvre Vincenza est interrogée. Elle a été traitée de sorcière par deux personnes: Catherine Chappuis, avec qui elle avait des problèmes d'argent, ainsi que le tonnelier du village. Celui-ci est en différend avec Vincenza, car elle a utilisé un «petit pré en face du sien» qu'elle a refusé de lui rendre. Mais elle tient bon et ne confesse rien. Elle a ainsi sauvé sa vie. Si elle avait avoué avoir été approchée par le diable, elle aurait fini au bûcher.

«Sans aveux, il n'y a pas de condamnation à mort. Ceux qui craquaient sous la torture et clamaient ensuite leur innocence faussaient la procédure. Il fallait alors les torturer à nouveau»
Lionel Dorthe, historien

La torture par «petite pierre»

Le lendemain, le Petit conseil ordonne la suite:

«Vincenza Cantin, originaire d’Autigny, a soutenu la simple corde sans rien confesser, quoi qu’elle soit beaucoup soupçonnée du crime capital. Elle sera soumise à la torture par petite pierre»

On lui attelle donc ce poids supplémentaire de 25 kilos, attaché à ses pieds. Là non plus, elle ne confesse rien. On peut imaginer la douleur intense de la victime.

La défense

Vincenza se défend auprès du juge d'être une sorcière et estime elle-même avoir été victime d'un sortilège. Elle y évoque «l'anneau nuptial», une croyance populaire de cette période: n'arrivant pas à faire monter son beurre, son mari avait jeté dans la pétrisseuse sa bague de fiançailles, bénie par le prêtre. Le beurre ne prenant toujours pas, elle en vient à la conclusion que c'est sur elle qu'un charme a été jeté.

«Nous sommes ici au cœur du procès. Il n'y a pas d'avocat, mais elle se défend et tente de retourner l'accusation de sorcellerie en sa faveur»
Lionel Dorthe, historien
Je suis allé aux archives de l'Etat de Fribourg pour savoir si une de mes possibles ancêtres a été accusée de sorcellerie.
Lionel Dorthe est spécialiste de la période de la chasse aux sorcières.Image: watson

Elle concède aussi avoir «vengé des paroles aigres», c'est-à-dire avoir défendu son honneur, avec virulence, face à tous les villageois qui la traitaient mal. «Elle explique au juge savoir que les gens qui l'ont accusée sont malveillants à son égard, mais clame son innocence», analyse Lionel Dorthe.

La sentence

Le compte-rendu de la deuxième séance de torture remonte au Petit conseil. Il exige d'interroger à nouveau la villageoise avec «la grande pierre», d'un poids de 50 kilos. Le 9 septembre, les sévices doivent recommencer. Mais, au dernier moment, on renonce. Que s'est-il passé?

«Le juge était certainement déjà convaincu de son innocence et a dû considérer qu'il ne servait à rien de la torturer inutilement»
Lionel Dorthe, historien

Vincenza ne finira pas sur le bûcher. Mais elle sera tout de même «confinée dans sa maison». Cette assignation à résidence a valeur de bannissement.

«Les autorités reconnaissent que ce n'est pas une sorcière. Mais pour calmer les esprits, on décide de la condamner à cette sentence intermédiaire»
Lionel Dorthe, historien

Vincenta Cantin-Cudré aura par ailleurs le droit de continuer à aller à l'Eglise. «On lui permet un minimum de vie sociale, mais elle est en sursis», analyse Lionel Dorthe. Elle devra aussi payer les frais du procès.

Je suis allé aux archives de l'Etat de Fribourg pour savoir si une de mes possibles ancêtres a été accusée de sorcellerie.
Les procès en sorcellerie et leur issue juridique ont été disséqués en détail par les historiens.watson

«Cela s'est vu et revu dans l'Histoire»

Les traces de cet évènement s'arrêtent ici. Que s'est-il passé durant le reste de la vie de Vincenza? Difficile à dire. Loin des grandes affaires spectaculaires, aux longues pages bien documentées et qui se finissent dans les flammes, ce procès en sorcellerie mineur ne dure que quelques jours, mais durant lequel une personne innocente aura été torturée et mise au ban de sa société, pour trois fois rien.

«Les phénomènes de persécution répondent à une demande populaire, liée à l'émotion et non la raison. On requiert un coupable au nom de ce qui est perçu comme une nécessité collective»
Lionel Dorthe, historien

Pour tout dire, j'ignore si j'ai un lien de parenté avec Vincenza, dont Cudré serait plutôt le nom de jeune fille. Si je ne suis pas de sa lignée, certainement, avons-nous des ancêtres, plus immémoriaux encore, en commun. Dans un cas comme dans l'autre, je lui devais bien cet article.

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