Jean-Bernard est furax. Pas plus tard que tous les jours depuis deux semaines, il gratifie ses vingt-deux amis sur Facebook de posts inflammables au sujet des feux d'artifice. Il a même pris le temps (et il en a) de participer à un sondage de 24 Heures en répondant que «c’est du gaspillage d’argent et du bruit inutile. Basta!». Comme 61% des Romands interrogés.
C'est que Jean-Bernard peut compter sur une sacrée munition pour armer ses coups de gueule. Le champ jaunâtre qui jouxte sa bicoque, l'eau dans le gaz de Poutine, la santé mentale de Médor, Kevin qui se blesse l'auriculaire avec son vésuve, la planète qui se meurt, l'inflation, les incendies, les réfugiés, la pauvreté, le nationalisme, le cervelas vegan, #macrondémission.
Tour à tour dans la peau d'un pyrotechnicien, d'un climatologue ou d'un politicien, Jean-Bernard est formel:
Heureusement, Jean-Bernard, 52 ans, chauffagiste, est un bipède occidental furieusement ordinaire et sait donc se montrer naturellement paradoxal. (Comme peut d'ailleurs l'être Mandarine, 29 ans, étudiante.)
Car il a beau bégayer dès la deuxième strophe du Cantique, il fête chaque année le 1er Août avec sa femme, ses quatre enfants et son ami Gaston. Souvent au chalet «parce que ça met à fond dans l'ambiance». Dans le coffre de la Volvo, trois fusées de la Coop, des lampions à croix blanche (achetés en 1998) et une vingtaine de bouteilles de blanc. Jean-Bernard aura sans doute son bob rouge sur le crâne. Il est même probable qu'il beugle «Tcheu, c'est beau!» quand il verra pointer les premières éclaboussures colorées des feux de son village.
D'ailleurs dimanche dernier, Jean-Bernard a failli s'encoubler dans l'immense crochet métallique du Club Tent pour ne rien manquer des feux du Paléo Festival depuis le stand des Tartines. Il a même copieusement insulté les techniciens quand, au beau milieu du spectacle, un couac a interrompu le bazar. (Il ne savait pas encore que c'était un début d'incendie qui a failli annuler la démonstration.)
Soyons franc, Jean-Bernard adore aligner des onomatopées de contentement devant de jolis feux d'artifice. Mais ce qu'il aime par-dessus tout, c'est dire très fort depuis son clavier que les feux d'artifice «c'est quand même de la merde». Peut-être parce que c'est toujours un peu humiliant d'avouer publiquement qu'on peut lâcher sa bière tiède pour quelques secondes de magie dans le ciel.
Et Dieu que c'est satisfaisant de dégommer en ligne la bonne humeur du voisin. (Surtout celle des mioches, non?)
Et puis, grâce à la polémique sur les feux d'artifice, il pense moins souvent à appeler les gendarmes à 22h01 parce que Monique du troisième regarde Koh-Lanta à fond les ballons et la fenêtre ouverte.
C'est con, parce qu'il n'a pas tort dans le fond, Jean-Bibi: les feux d'artifice c'est un chouïa moins écolo qu'une bonne brouette d'activités (comme dormir ou mourir) et, en période de grande sécheresse, c'est surtout très dangereux.
Presque autant que le bonheur des autres.