Mettons tout de suite les choses au clair: non, le concours international de Miss Universe ne s'est pas déroulé ce jeudi soir à Lausanne.
Je le précise parce que dans la petite foule rassemblée sur le trottoir devant le Bamee Bar, qui organisait l'événement, certaines personnes semblaient croire qu'on allait, là, élire la femme la plus belle de l'univers.
C'est fou, mais surtout, c'est faux. Ce soir, sur une idée un peu bizarre de Marco Reymond, patron de l'établissement, et Lina Poffet, présidente du comité de Miss Universe Switzerland, des candidates vont défiler sur un tapis rouge installé entre les terrasses du Bamee, avant de se rendre, le 28 septembre, à la grande finale à Berne. La gagnante ira ensuite défendre les couleurs de la Suisse au concours de Miss Universe à Mexico en novembre.
Retournons à notre petite sauterie. Il est 19 heures et des brouettes, le DJ chauffe les curieux qui attendent en s'impatientant, car le premier défilé est en retard. Le personnel est un peu stressé, les commandes arrivent de partout, certains se plaignent déjà de la musique trop forte dans la rue.
En attendant l'arrivée des miss, je prends une bière à l'extérieur. Des clients me proposent de partager leur coin de table. C'est gentil, ça. «Et toi t'es quelle candidate? Comment on fait pour voter pour toi?» Allez, il est 19 heures 22, let the flatteries lourdingues begin, ouaiiis. Les passants qui doivent traverser entre les deux terrasses, sur le tapis rouge, ont l'air de ne pas comprendre ce qu'ils font là. Moi non plus.
Dans la foule, une femme raconte qu'elle a participé à Miss Camping, quand elle était jeune. Les serveuses zigzaguent sur le tapis rouge avec d'immenses marmites de bouillon pour les fameuses fondues thaïes. Le patron harangue la foule au micro, il fait l'animation, le service, le SAV en attendant le premier défilé. Pour le moment, ce sont les plateaux de crevettes frites qui défilent.
Il semble que les choses se mettent gentiment en place. Un homme au micro, le mari de la présidente du comité, prend la parole pour introduire les candidates.
Peu avant 20 heures, c'est parti. «Elles seront en maillot de bain tu crois??», demande un homme à son comparse qui s'envoie des verres de rosé comme de l'eau. Calme-toi. Sur le rosé et les commentaires salaces.
C'est d'abord la présidente qui défile, dans un costume blanc à trous. Puis c'est au tour des candidates. Sur les 19, elles sont 11 à prendre part à cette folle soirée.
Certaines ont l'air très à l'aise, comme si elles avaient l'habitude de défiler, que ce soit sur un podium à la Fashion Week ou un tapis entre deux terrasses à Lausanne.
L'une des Romandes perd bel et bien l'équilibre dans les marches menant à une terrasse. Mais elle se rattrape et sourit. Dans mon imagination, elle répond «je t'emmerde» au type ivre qui la pointe du doigt au lieu de l'aider. Les miss défilent, les serveuses se faufilent.
Tout a pris du retard dans cette soirée manifestement. Il est près de 21 heures, au micro, avant le second passage des candidates, Marco Reymond explique à ses clients qu'ils sont un petit peu débordés.
En plaisantant, il précise que le troisième défilé est prévu à minuit et quart. «Si avec ça, on ne finit pas en prison...» Mmhh, quand même pas, mais la police fera bel et bien un coucou. J'y reviendrai.
Pour le moment, c'est l'heure du second défilé. La présidente du comité de Miss Universe Switzerland et son mari se partagent le commentaire. Et certains me font ouvrir de grands yeux. «Nous avons des candidates qui ont dû abandonner malheureusement à cause des études». D'accord, si vous le dites. Un autre commentaire me donne cette fois envie de hurler, lorsqu'il explique que certaines miss ont plus de 40 ans et que...
Au micro, la présidente, cette fois habillée d'une robe noire à trous, répète, elle aussi, que «ce n'est pas la beauté qui compte». J'ai envie de faire un câlin à cette candidate qui défile avec bravoure sous ces commentaires pas OK.
«Et voici Cassandra! Euh non, Alexandra, pardon!», clame le speaker. J'applaudis d'autant plus fort ces femmes qui gardent le sourire alors qu'on écorche leurs noms et qu'on leur dit qu'à passés 40 ans, «c'est pas la beauté qui compte».
J'ai d'ailleurs beaucoup de peine à garder le sourire lorsqu'un abruti insiste pour me payer une bière. Mais je me dis qu'au pire, comme le raconte parfois l'une de mes collègues, «tu casses la bouteille et tu t'en sers comme une épée!». Cette pensée me fait sourire. «Ah bah tu vois, quand tu veux», me beugle-t-il à la tronche. Il va finir coulé dans une dalle de béton s'il continue, lui.
Il est 21 heures 10, la soirée bat son plein. Un peu trop, peut-être? Après ce deuxième défilé, le patron du Bamee traverse le tapis rouge en disant qu'il doit aller parler à la police. Ils sont là? Oups. Bon, pas de quoi finir en prison. Mais la table de mix du DJ est rapidement démontée. Le troisième passage des miss se fera donc sans musique, et sans commentaire au haut-parleur. De toute façon, si c'est pour dire qu'à 40 ans, on est moches, c'est pas la peine.
Vers 22 heures 10, le dernier défilé démarre. Alors que la sono a été rangée, le speaker continue de présenter les candidates dans un micro relié à rien du tout. C'est un peu lunaire, mais après tout, pourquoi pas? De toute façon, les curieux encore présents autour du tapis rouge font leurs propres commentaires.
C'est vrai que ça commence à être un petit peu n'importe quoi. Sans musique, avec un speaker cramponné à un micro éteint, des clients qui, pour certains, semblent être à un niveau d'alcoolémie avancé, l'enseigne lumineuse de Bernard Nicod en arrière plan...
Après un dernier tour de piste en tenue de soirée, plus étincelantes les unes que les autres, les candidates s'en vont. Et moi aussi. Une soirée marrante, un brin étrange, avec des femmes perchées sur des talons aiguilles sur un tapis rouge, qui défilent entre des serveuses qui portent d'immenses plateaux de crevettes et des marmites de bouillon. On n'est pas près de revoir ça à Lausanne.