La sécurité des centres fédéraux d'asile sera renforcée. C'est ce qu'a décidé le 18 décembre dernier le Conseil des Etats, en avalisant une révision de la loi qui aura notamment pour effet de durcir les mesures disciplinaires à l'encontre des requérants.
Le Parlement a notamment décidé de prolonger l'exclusion des locaux jusqu'à 10 jours, contre 24 heures actuellement. De plus, le périmètre autour des centres à l’intérieur duquel les requérants d’asile peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires sera élargi. Les sénateurs ont également exclu la possibilité de recourir au Tribunal administratif fédéral contre les décisions d’assignation à un centre spécifique.
Ces changements font suite aux révélations de plusieurs médias et ONG, ayant documenté en 2021 des cas de violence à l'encontre des requérants du centre d'asile de Boudry (NE). La révision va-t-elle dans la bonne direction? Selon Megane Lederrey, anthropologue et spécialiste en droits des personnes étrangères, ce n'est pas le cas. Interview.
Cette révision de la loi était-elle nécessaire?
Megane Lederrey: Oui, puisque les mesures sécuritaires pratiquées dans les centres n'y figurent pas. Il fallait donc légiférer sur les pouvoirs octroyés aux agents de sécurité et au personnel. Par contre, il aurait fallu une orientation complètement différente.
Laquelle?
Laisser le droit pénal sanctionner les éventuelles infractions et mettre en place des mesures constructives: plus d’activités socialement reconnues et permettant aux requérants de se sentir utiles et valorisés, ainsi que des suivis sociaux et psychologiques.
Le Parlement a décidé que l'exclusion des locaux communs pourrait durer jusqu'à 10 jours, contre 24 heures aujourd'hui. Quelles seront les conséquences de ce changement?
Les personnes exclues du centre peuvent dormir dans une sorte de salle d'attente, une pièce où il n'y a que des matelas, des bancs et des sanitaires, mais elles n'ont accès à rien d'autre. Cela les oblige à errer dans l'espace public, où elles subissent des contrôles au faciès de la part de la police. Il faut savoir que la plupart des centres se situent dans des endroits complètement isolés.
Qu'est-ce que cela implique?
Comme les requérants n'ont pas d'argent ni de billets des transports publics, ils risquent des amendes. Et, puisqu'ils ne peuvent pas les payer, ces dernières se transforment en peines pénales.
Vous estimez donc que la révision votée par le parlement va péjorer la situation?
Oui. Au lieu de renforcer les ressources qui pourraient diminuer les tensions et, par conséquent, améliorer la sécurité, c'est l'inverse qui a été fait: on durcit les règles, on sanctionne plus lourdement. Les sanctions sont et resteront arbitraires et les peines prévues ne respectent pas les droits humains.
Et quoi dire de la situation actuelle?
Dans les centres fédéraux d'asile, on n'est jamais seul, il y a sans arrêt des gens et du bruit. Il y a jusqu’à 16 personnes par chambre, alors c’est souvent impossible de dormir. Les espaces communs sont trop petits et bondés. Il y a des règles pour tout. On enlève aux requérants le pouvoir de prendre des décisions sur les aspects les plus basiques de leur vie, c’est infantilisant.
Les suivis psychologiques sont presque inexistants, le personnel d’encadrement est en sous-effectif, mais il y a énormément d'agents de sécurité. Personne n’est formé, personne n’a le temps d’écouter, alors on a recours à la force pour gérer des situations qui requièrent un soutien social ou psychologique.
Est-ce que cela a un impact sur la santé mentale des requérants d'asile?
Des violences et dangers surviennent tout au long du parcours des exilés, que ce soit dans leur pays d'origine ou sur le trajet vers la Suisse. Les plonger dans un contexte disciplinaire, où elles sont entourées d'agents de sécurité, constitue une violence supplémentaire. Les requérants comparent certains centres à des prisons. Les traumatismes passés peuvent alors ressurgir. Ces personnes n'ont commis aucun délit, autre que le fait d'être étrangères.
Il n'y a-t-il donc pas de contrôle?
Non. Ces structures sont interdites d'accès aux journalistes, au public, aux chercheurs. Il n'est pas possible de prendre des photos à l'intérieur. A part la commission nationale de prévention de la torture, seules quelques associations ont droit à des visites officielles où l’on montre les centres sous leur meilleur jour.
Il n'y a aucune possibilité de faire recours, ni aucun droit de regard sur les sanctions. Il s'agit d'une situation inimaginable pour des résidents suisses, que l’on choisit d’appliquer aux requérants d’asile. C’est révélateur d'un racisme institutionnel très clair. On parle de graves restrictions de liberté.