Il est midi sur la Piazza Indipendenza à Chiasso. L'eau jaillit des fontaines en douceur. Deux migrants viennent de s'asseoir sur un banc. Ils ouvrent bruyamment des canettes de bière bon marché qu'ils ont apportées. Malgré cela, le calme règne, même lorsque d'autres demandeurs d'asile se joignent à eux.
Sonia Colombo-Regazzoni (PLR), conseillère municipale de Chiasso chargée du département de la sécurité, assure que «la situation a atteint un point critique, notre population est à bout». La petite ville frontalière avec l'Italie est habituée à la présence et à l'interaction avec les migrants, explique la politicienne, une grande partie de la population ayant elle-même des origines migratoires. Cependant, la limite tolérable a été dépassée, selon elle.
En effet, la pression migratoire se fait fortement sentir à la pointe sud de la Suisse. La gare fourmille de gardes-frontières qui contrôlent les trains et les quais. Selon le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), 545 personnes sont hébergées dans les trois dortoirs qui font partie du centre fédéral d'asile (CFA) de Chiasso.
En décembre, elles étaient même 600, selon la conseillère municipale. Un chiffre qui correspond à presque 10% du nombre d'habitants de Chiasso. Pourtant, lors de l'accord avec les communes, la Confédération avait annoncé un maximum de 350 personnes.
En plus de la Piazza Indipendenza, une place de jeu située à proximité est devenue un lieu de rencontre pour les demandeurs d'asile. Les disputes y sont fréquentes, parfois même des bagarres. Les problèmes seraient surtout liés aux jeunes hommes originaires du Maghreb, affirme l'élue.
Presque tous les jours, elle reçoit des photos, mais aussi des vidéos démontrant les problèmes qui surviennent dans l'espace public. La police doit souvent intervenir pour des délits mineurs comme le vol à l'étalage et les fonctionnaires sont alors insultés.
Plusieurs fois, de fausses alarmes incendie ont été déclenchées dans les centres d'asile, ce qui a entraîné des coûts élevés pour la commune.
Plusieurs conseillers municipaux ont déposé une motion visant à interdire la consommation de boissons alcoolisées dans l'espace public. L'ancien maire de Chiasso et président de l'organisation touristique régionale, Moreno Colombo, est, lui aussi, très inquiet.
Il a transmis une pétition au Département fédéral de justice et police (DFJP) dans laquelle il demande une réunion d'urgence avec la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, des représentants du SEM, du canton du Tessin et de la commune de Mendrisio.
Il rappelle également qu'auparavant, les demandeurs d'asile effectuaient des travaux d'intérêt général, ce qui contribuait à détendre la situation. «Maintenant, l'hostilité a augmenté», déplore-t-il. La conseillère municipale estime qu'il n'est pas possible d'organiser des programmes d'occupation pour autant de demandeurs d'asile. Lors du carnaval de Chiasso, tout juste 20 personnes ont pu être engagées.
La pétition de Moreno Colombo a été lancée après que l'on ait appris à quel point la situation était tendue non seulement dans l'espace public, mais aussi à l'intérieur des centres d'accueil. Des demandeurs d'asile se sont plaints de conditions insupportables dues à la chaleur. Les fenêtres ne pouvaient par exemple pas être ouvertes, mais des ventilateurs auraient été installés depuis.
A cela s'ajoutent les plaintes de jeunes femmes demandeuses d'asile. Dans un reportage vidéo du portail Ticinonline, certaines femmes ont expliqué comment elles avaient été harcelées (sexuellement) verbalement et physiquement par des colocataires.
Immacolata Iglio Rezzonico, une avocate de Lugano qui représente de nombreux migrants, a parlé d'une «situation très précaire». Des actions de protestation ont eu lieu récemment à deux reprises devant le bâtiment administratif du centre fédéral d'asile — organisées par le collectif «R-esistiamo», dans lequel sont également actives des personnes issues des milieux autonomes. Ces actions dénonçaient l'usage de la violence par le personnel à l'encontre des résidents.
Les femmes voyageant seules et avec enfants sont hébergées séparément des hommes seuls ou en famille. En cas d'occupation très importante, les femmes peuvent exceptionnellement être hébergées dans des dortoirs familiaux mixtes.
Le porte-parole du SEM, Samuel Wyss, a déclaré «prendre très au sérieux ces reproches». En ce qui concerne les problèmes dans la commune de Chiasso, il souligne que le SEM est responsable de la sécurité interne dans les centres fédéraux d'asile. Les patrouilles extérieures des agents de sécurité ont été renforcées au cours des derniers mois. En outre, des investissements importants sont réalisés dans la prévention des conflits.
Toutefois, la sécurité externe relève exclusivement de la compétence de la police. Par ailleurs, la Confédération soutient les cantons dans cette tâche en leur versant un montant forfaitaire approprié pour soutenir leur personnel de sécurité et de police. Mais la conseillère municipale estime que «ces indemnités sont loin d'être suffisantes».
Pour Chiasso, l'histoire semble en tout cas se répéter. La localité frontalière est régulièrement confrontée à des problèmes, même si ces derniers ne concernent qu'une minorité de requérants d'asile. Ils ont été particulièrement marqués après le printemps arabe de 2011, lorsque les migrants du Maghreb ont provoqué des situations parfois chaotiques.
Traduit et adapté par Noëline Flippe