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Boom des protéines en Suisse: Migros et Coop «en profitent»

Invasion de protéines en Suisse: Migros et Coop «en profitent»

Les Suisses manquent-ils de protéines? Oui, mais pas tous. A l’heure où les réseaux sociaux, les influenceurs fitness (et nos jeunes) vouent un culte aux nouveaux produits hyperprotéinés, les géants orange mettent le paquet dans ce «grand bazar mercantile», avec des produits «ultratransformés», selon Ioana Chelemen, nutritionniste à Lausanne. Interview.
21.07.2025, 05:3121.07.2025, 06:43
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Aujourd’hui, lorsque l’on parle de produits hyperprotéinés, il est possible de trouver des chips, du pain toast et même des bières. Après les poudres ou les barres, les rayons de nos supermarchés sont envahis par des emballages noirs, sur lesquels la quantité de protéines est affichée en grand.

Une mode? Le mot est faible. Le Wall Street Journal dévoilait il y a quelques semaines que l’industrie avait inventé 97 nouveaux produits utilisant le mot «protéine» dans leur nom, aux Etats-Unis. Et les stars ne sont pas en reste. Pour ne citer qu’elle, Khloé Kardashian a cru bon de lancer sa propre marque de pop-corn protéiné, baptisée Khloud.

Et il suffit de cliquer sur le hashtag #HighProteinFood pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène.

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montage watson

Les réseaux sociaux, les influenceurs baraqués ou l’injonction grandissante qui consiste à optimiser le moindre recoin de nos vies sont responsables de cette invasion. Une invasion particulièrement marquée de l’autre côté de l’Atlantique, mais la Suisse n’est pas en reste. Chez Migros ou Coop, les produits gonflés en protéines bombent le torse dans les rayons et les publicités en ligne.

(Oui, même sur le site de watson.)

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Et, même si certains Suisses sont effectivement en carence de protéines, cette tendance fait tiquer bon nombre de spécialistes de par le monde. Nous avons lancé un coup de fil à la nutritionniste Ioana Chelemen, basée à Lausanne, pour en avoir le cœur net.

Il suffit de scroller sur Instagram ou de se promener dans les rayons des supermarchés pour réaliser que les protéines sont très à la mode. Comment interprétez-vous cette tendance en Suisse?
Ioana Chelemen: Effectivement, les protéines sont de plus en plus populaires. Depuis la pandémie de Covid-19, la population suisse a montré qu’elle voulait améliorer sa santé de manière générale, comme faire davantage de sport ou mieux s’alimenter. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi. Le problème, c’est que nous avons aujourd’hui affaire à un grand bazar mercantile qui n’aide pas le consommateur. Les supermarchés en profitent.

Avant de défricher ce «bazar», on a surtout l’impression que toute la Suisse est soudainement en carence généralisée de protéines. Est-ce le cas?
Oui, c’est le cas, mais de manière inégale. Les chiffres nationaux le montrent et je l’observe quotidiennement dans mon cabinet quand je reçois de nouveaux patients, environ un quart de la population n’en consomme pas assez et ce sont d’abord les personnes âgées de plus de 65 ans qui sont concernées. Mais il y en a d’autres.

Lesquelles?
Je rencontre par exemple beaucoup de chefs d’entreprise et de CEO qui ne mangent pas assez ou mal, à cause du stress, notamment. Résultat, ils ingèrent des trucs sur le pouce et sont constamment au bout du rouleau. A ce rythme, les protéines, entre autres, viennent à manquer.

Donc, théoriquement, ces produits protéinés vendus en grandes surfaces répondent à un besoin bien réel...
Pas vraiment. La plupart de ces produits vendus en supermarchés sont en réalité très transformés. Pour quelques grammes de protéines en plus, le consommateur ingère des additifs en trop grande quantité ou des sucres qui n’ont rien à faire là.

«En achetant un produit transformé qui affiche en grand la quantité de protéines, le consommateur est persuadé qu’il fait du bien à son corps, sans grand effort»

Ce n’est pas le cas?
Tous les produits ne se valent pas, bien sûr, mais la plupart n’ont effectivement pas un grand intérêt nutritionnel. L’intérêt est d’abord pour les grandes surfaces qui surfent consciemment sur une tendance et en profitent pour vendre leurs produits protéinés plus chers.

Protéine est synonyme de prise de muscles, du moins selon les influenceurs sportifs sur les réseaux sociaux. Le marketing est agressif, la couleur noire est souvent au rendez-vous. Pour plus de crédibilité?
Disons que, de manière générale, le mot protéine fait d’abord référence à la santé, donc le marketing touche sans doute une large portion de la population.

«Si les jeunes sont particulièrement sensibles à ce genre de marketing agressif, il résonne aussi chez les citadins pressés, car les grandes surfaces vendent d’abord des produits protéinés qui ne nécessitent aucune préparation»

Une alimentation «bêtement» équilibrée n’offre-t-elle pas sa dose de protéines nécessaires à un être humain lambda?
Oui, un être humain en bonne santé et qui mange de tout peut naturellement atteindre la quantité nécessaire de protéines dont le corps a besoin. Cela devient moins évident lorsqu’on est végane, par exemple.

Encore aujourd’hui? Sur les réseaux sociaux, les cuistots rivalisent pourtant d’originalité pour nous concocter des plats sans viande qui donnent envie...
Il existe évidemment plusieurs sources de protéines végétales. Toutefois, atteindre la quantité quotidienne recommandée avec des lentilles ou du tofu est plus difficile que de manger du poulet, qui en contient près de 30 g pour 100 g.

On a, malgré tout, l’impression que la majorité de consommateurs qui se jettent sur les produits protéinés des grandes surfaces est celle qui pourraient atteindre leur quota naturellement.
C’est vrai. Et notamment à cause des réseaux sociaux. Les personnes qui veulent perdre du poids ou prendre du volume sont souvent abonnées à des créateurs de contenu qui vénèrent les protéines, au détriment d’une nourriture équilibrée.

Or, ces influenceurs sont souvent bâtis comme des armoires à glace, dont le fitness est devenu un métier...
Il y a aussi une surenchère dans leurs contenus, qui doivent se démarquer d’une concurrence de plus en plus féroce. Sans oublier les nombreux partenariats avec les poudres ou les barres protéinées, sans que l’on sache toujours ce qu’elles contiennent réellement. Le public de ces comptes est d’ailleurs souvent des jeunes qui commencent à soulever des poids et n’ont pas besoin de 200g de protéines par jour.

Il y a tout de même de plus en plus de coachs ou d’influenceurs qui dépoussièrent les réflexes de nos grands-parents, avec un retour du whole food: viande, légumes, fruits, œufs, boire de l’eau et bien dormir.
Oui, vous avez raison, mais ils ne sont de loin pas en majorité. Même si c’est intéressant d’observer le fait que la santé est beaucoup plus à la mode qu’il y a dix ans, les dérives sont encore trop nombreuses.

«On voit que de nouveaux créateurs de contenu tentent de rétablir quelques vérités, en commentant les absurdités sur lesquelles nous tombons souvent tous les jours sur les réseaux sociaux. Mais, encore une fois, ils sont en minorité»

D’ailleurs, combien de protéines devons-nous consommer chaque jour ?
On estime qu’un gramme de protéines par kilo de poids corporel par jour est un minimum. On peut augmenter cette quantité lorsque l’on devient une personne active et très active.

Vous n’êtes pas une grande fan des produits considérés d’hyperprotéinés. Que diriez-vous à Migros ou Coop, qui se sont engouffrés dans ce marché?
J’aimerais bien qu’ils déploient autant de puissance marketing sur les produits naturels qui contiennent déjà de grandes quantités de protéines. Ce serait super d’avoir le même packaging tape-à-l’œil sur des œufs, du skyr ou des lentilles, non?

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