Peu avant Noël, vous avez fait part d'un succès: en 2023, la production d'énergie solaire en Suisse a gagné 1500 mégawatts. La Suisse produit ainsi deux fois plus d'électricité solaire que naguère la centrale nucléaire de Mühleberg, qui a été arrêtée. Ce nouveau record vous surprend-il?
Matthias Egli: Le fait que la croissance du secteur solaire se poursuive n'est pas inattendu. Ce qui nous surprend, c'est son rythme. Nous nous attendions à une croissance plus faible du marché de l'énergie solaire en 2023. Le fait que 10% des besoins en électricité de la Suisse proviennent à présent de panneaux solaires dépasse nos attentes.
Sans compter que cette augmentation s'est faite sans le programme de remplacement du chauffage prévu par la loi sur la protection du climat. Est-ce à dire que ce programme n'est pas nécessaire?
Non. Le secteur de l'énergie est de toute façon un marché très réglementé, dans lequel le politique met constamment en place des incitations.
Mais oui, il ne s'agit pas seulement d'inciter financièrement, mais aussi de supprimer les obstacles légaux. L'initiative des Verts sur l'obligation d'installer des panneaux solaires dans les nouvelles constructions donne par exemple une bonne impulsion. Et il est important que cet élan ne soit pas freiné maintenant.
Les installations photovoltaïques fournissent surtout de l'électricité en été, mais c'est plutôt en hiver que la Suisse risque d'être confrontée à une pénurie d'approvisionnement.
Ce n'est pas vrai. Les installations solaires fournissent déjà en hiver presque autant d'électricité que ce que l'on souhaite atteindre en plus d'ici 2030 avec le «Solar Express», et ce, sans les installations alpines. Au total, cela représente environ 1,8 térawattheures d'électricité en hiver. C'est une part considérable.
Mais tout à l'heure, vous avez parlé de 10% des besoins en électricité couverts par le solaire. Quelle part de ces 10% est produite en hiver?
Elle est de 30% l'hiver, de 70% l'été. Mais il existe déjà des installations dont la puissance se répartit à parts égales entre l'été et l'hiver, par exemple des installations sur les façades ou sur les murs antibruit. Il y a là un grand potentiel qui n'est pas encore exploité. Il n'est pas vrai que les installations solaires sont une source d'énergie uniquement estivale.
Le boom de l'énergie solaire représente également un défi pour les réseaux. Faut-il s'attendre à des surcharges si le développement des surfaces solaires est plus rapide que prévu?
Des pénuries de capacité isolées et de courte durée sont possibles. Mais nous trouvons les installations existantes surtout dans les zones densément peuplées; les réseaux y sont généralement stables. En revanche, les futures grandes installations, par exemple dans l'espace alpin, nécessitent souvent une extension supplémentaire du réseau.
Ces dernières années, on a surtout entendu parler d'une importante pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, qui aurait freiné le développement du solaire. Cette pénurie a-t-elle soudainement disparu?
La demande est là, cela ne fait aucun doute. Mais nous observons que l'ensemble du secteur a connu une croissance allant jusqu'à 50% chaque année au cours des dernières années. Jusqu'à présent, le problème était donc surtout théorique. En tant qu'association, nous travaillons aussi beaucoup à ce qu'il y ait suffisamment de personnel disponible.
Comme il s'agit d'un secteur jeune en pleine croissance, nous attirons aussi beaucoup de personnes qui changent de voie: couvreurs, installateurs électriques, etc. C'est un environnement de travail passionnant avec une forte demande. Cela aide.
40% de croissance, cela semble beaucoup. Dans la réalité, de nombreux propriétaires de maisons attendent pourtant leurs panneaux solaires...
Les délais d'attente se sont à nouveau raccourcis, ce qui est principalement dû à l'amélioration des chaînes d'approvisionnement internationales. Bien sûr, il faut toujours un peu de patience aux propriétaires privés pour qu'une installation soit vissée sur le toit. Mais six mois sont un délai réaliste et nous nous situons ainsi à peu près dans la fourchette d'autres installations plus importantes.
Si l'on a parlé de panneaux solaires l'année dernière, c'est surtout dans les Alpes. Mais plusieurs communes se sont opposées à de grands champs photovoltaïques, le Solar Express est paralysé. L'apport de l'énergie solaire alpine est-il surestimé?
Alpinsolar peut apporter une contribution importante à la transition énergétique. Mais oui: l'intérêt public dans ce domaine n'a pas toujours été très bien pris en compte. Le plus grand potentiel pour l'avenir se trouve sur les toits et les bâtiments existants, mais aussi sur les infrastructures publiques comme les murs antibruit. L'utilisation des façades, par exemple, n'en est qu'à ses débuts, alors qu'elles pourraient être intéressantes en hiver, avec un rayonnement solaire plus vertical. Je suis convaincu que la discussion évoluera dans cette direction.
A vous écouter, tout autre résultat qu'une nouvelle année record en 2024 serait une surprise, non?
Si nous parvenons à maintenir ce rythme, une part supplémentaire de 2 à 3% du mix électrique suisse est envisageable. Je compte sur une nouvelle croissance du marché et sur une production supplémentaire de 1,5 gigawatt l'année prochaine, et jusqu'à 2,5 gigawatts de plus par an à moyen terme.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)