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«On est en train de tester les limites du système pénal suisse»

Le drapeau Suisse et la statue de dame Justice sont photographies sur le toit du Tribunal federal (TF) ce jeudi 17 novembre 2011 a Lausanne. (KEYSTONE/Laurent Gillieron)
Image: KEYSTONE

«On est en train de tester les limites du système pénal suisse»

Certains tribunaux suisses atteignent la limite de leur charge de travail. Le fait de recourir plus fréquemment à la justice explique en partie cette situation, qui varie toutefois selon les cantons.
31.01.2025, 05:37
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La justice suisse est-elle «en crise»? C'est ce que soutient ce mardi le Tages-Anzeiger. La surcharge des tribunaux, où «les dossiers s'accumulent de manière insoutenable», en serait la cause. Selon le quotidien zurichois, le nombre d'affaires pénales en suspens dans les tribunaux cantonaux, au Tribunal fédéral et au Tribunal pénal fédéral est passé de quelque 13 700 en 2018 à plus de 17 000 en 2023 - soit une hausse d'environ 25%.

«Dire que le système pénal suisse est surchargé ne me paraît pas erroné», réagit Camille Perrier Depeursinge, professeure de droit pénal à l'Université de Lausanne. «Les professionnels du droit pénal auxquels j’ai pu parler constatent que la charge de travail est de plus en plus importante.»

«Les périodes plus calmes se font rares, la situation est toujours tendue»
Camille Perrier Depeursinge

La professeure estime qu'il n'y a pas toujours suffisamment de personnes pour absorber les affaires qui rentrent, lesquelles sont «plus nombreuses que les jugements qui sortent».

«Inquiétant»

Cette situation est parfois mise en lumière par les autorités elles-mêmes. Le rapport d'activité des tribunaux argoviens, cité par le Tages-Anzeiger, fait état de «plusieurs tribunaux de district ayant atteint la limite de leur charge de travail». En Valais, «le nombre de dossiers annuels nouveaux reste fort inquiétant», indique le canton dans un document similaire, portant sur l'année 2023.

Dans le canton de Vaud, au contraire, le dernier rapport annuel du tribunal cantonal évoque «une activité intense mais un accès aux services de la justice assuré». Loïc Parein, avocat spécialiste en droit pénal, souligne en effet que la charge de travail et les ressources à disposition varient selon les cantons. «Je pense que la police et les procureurs ne manquent clairement pas de travail», estime-t-il.

«Pourtant, selon mon expérience, les tribunaux vaudois parviennent encore à fixer des audiences dans des délais raisonnables»
Loïc Parein

Pour cette raison, l'avocat invite à prendre l'affirmation selon laquelle le système pénal suisse est globalement surchargé avec «une certaine réserve».

Conflits de voisinage et cybercrime

Comment explique-t-on cette augmentation de l'activité, que l'on constate dans certains cantons? L'évolution démographique peut jouer un rôle, estime Camille Perrier Depeursinge, mais ne peut pas expliquer à elle seule la situation.

D'autres tendances doivent être prises en compte: «Les personnes font plus facilement recours à la justice pénale, qui est plus fréquemment sollicitée», explique la professeure. C'est notamment le cas lors de conflits interpersonnels et de voisinage. Résultat:

«Les affaires de ce type augmentent, cela prend du temps et met les autorités pénales sous pression»
Camille Perrier Depeursinge

Sans oublier d'autres évolutions, telles que le développement de la criminalité en ligne. Des infractions qui n'existaient pas jusqu'à récemment, comme l'usurpation d'identité ou le «revenge porn», sont à présent punissables, note Camille Perrier Depeursinge. «Cela a fait grimper le nombre d'infractions, ce qui se répercute, une fois de plus, sur le système pénal.»

Pour la professeure, il s'agit d'une tendance à la hausse qui est en cours depuis longtemps et qui a pu être plus ou moins absorbée jusqu'à présent. «On est en train de tester les limites du système pénal», déclare-t-elle.

Des procédures plus longues?

Le problème, avance le Tages-Anzeiger, c'est que, à cause de cette situation, les procédures deviennent de plus en plus longues. Ce qui peut représenter «une charge énorme pour les victimes et pour les auteurs présumés». Pire: cela risquerait de saper la confiance de la population vis-à-vis de la justice.

«Faire l'objet d'une procédure pénale est extrêmement pénible et, lorsque l'on tarde trop à prendre une décision, on faut subir son poids au prévenu», renseigne Camille Perrier Depeursinge. «C'est la même chose pour la victime», poursuit-elle.

«La lenteur de la procédure est très dure à vivre, tout comme le fait de devoir attendre sans savoir»
Camille Perrier Depeursinge

Mais peut-on affirmer pour autant que cela sape la confiance de la population vis-à-vis de la justice? «Je ne saurais pas le dire», répond la professeure. «Il y a une méconnaissance des délais, mais ce que cela implique au niveau des attentes, c'est difficile à savoir», ajoute-t-elle. «Je ne crois pas qu'on en soit là.»

«Il y a de plus en plus de travail pour les autorités pénales, mais elles arrivent encore à faire face»
Camille Perrier Depeursinge

Loïc Parrein se montre également prudent. Il souligne que des affaires particulièrement complexes nécessitent parfois de longues enquêtes. Il peut toutefois arriver que des affaires sans complexité particulière soient traitées trop lentement. «C’est évidemment choquant. De telles situations risquent d'entamer la confiance de la société dans le fonctionnement de la justice», indique-t-il. Avant de nuancer: «Il faut se rappeler qu'il ne s'agit pas de la norme, au contraire.»

«La justice est une question d'équilibre», commente finalement l'avocat. «Autant on peut regretter qu'elle mette trop de temps à fonctionner, autant le contraire constitue un danger pour l'Etat de droit», prévient-il. Et de conclure:

«Il faut faire attention, et éviter de laisser la place à une justice expéditive, qui est une justice de plateau télé»
Loïc Parein
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La nébuleuse de la Lyre prise en photo par le télescope James Webb.
source: esa/webb
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