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Pourquoi la présence d'une fillette voilée à la RTS dérange

Pourquoi la présence d'une fillette voilée à la RTS dérange
Sur le plateau de «C’est ma question», le jeu de la RTS.image: capture d'écran

Pourquoi la présence d'une fillette voilée à la RTS dérange

Une petite fille de 9 ans portant un voile est apparue dans le jeu de la RTS «C’est ma question». Le Réseau laïque romand, pour qui le voile est un objet sexiste, a écrit au directeur de la chaîne publique romande, Pascal Crittin. watson a joint les deux parties.
07.09.2023, 18:5608.09.2023, 14:27
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Un jour de cette semaine, en début de soirée, sur RTS 1. Deux candidates du jeu «C’est ma question» choisissent la personne qui leur posera la prochaine question. Entre Claire, Isabelle, Samira* et Gérard, ce sera Samira, décident-elles.

Après avoir dit son prénom et son âge, 9 ans, cette dernière, dont l’intervention a été enregistrée et qui n’est donc pas présente sur le plateau, demande aux deux femmes quelle marque a créé le chocolat blanc. Les participantes réfléchissent un instant avant de cocher la case «Nestlé». Exact, confirme Samira, toujours dans un propos enregistré.

Un voile qui fait réagir

Et alors? Et alors Samira apparaît voilée parmi ses camarades de classe d’une école primaire. Un voile rentré dans le col de son sweat-shirt couvre ses cheveux. La petite fille est adorable et semble toute fière de poser une question en lien avec le thème «société et traditions», intégrateur s'il en est. La petite-fille n’est pas le «problème».

Pour le Réseau laïque romand (RLR) qui a vu l’émission, le «problème», c’est son voile. Le RLR estime que le voile est un objet de domination masculine, le moyen par lequel les islamistes tentent d'imposer une doctrine hégémonique, au détriment, en premier lieu, des musulmans eux-mêmes. Pour le groupe militant laïque, le problème du présent voile est aggravé par le fait que celle qui le porte est une fillette et par le fait que la RTS diffuse son image, comme si cela allait de soi.

Lettre au directeur de la RTS

Plume du RLR, la Vaudoise Nadine Richon adresse le lendemain un courrier au directeur de la RTS, Pascal Crittin. Une lettre publique, parue sur le blog qu’elle tient dans les colonnes du site Le Peuple. Une lettre où elle précise n’en avoir pas après l’islam, mais après les «officines islamistes». Nadine Richon renvoie la direction de l’audiovisuel public romand à la dimension «politique» du voile et l’interpelle sur sa responsabilité face à cette question.

Extrait:

« (…) ne pensons pas comme certains que la Suisse soit une île, encore moins que nous serions les meilleurs, n’ayant soi-disant aucun problème de ce type (réd : l’activisme islamiste) du simple fait de ne pas y répondre du tout. Ou encore, comme vu sur la RTS dans votre jeu "C’est ma question" – où apparaissait cette fillette en porte-drapeau de ce qui la dépasse de très très loin – qu’il est judicieux de donner un coup de pouce visuel au sexisme voilé de religieux.»
Nadine Richon, lettre à Pascal Crittin, directeur de la RTS

Venons-en à l'émission elle-même: pourquoi une petite fille est-elle apparue voilée dans ce jeu familial? Pourquoi pas?, rétorqueront ceux qui ne voient pas là motif à questionnement et encore moins à indignation. Les réponses écrites envoyées par le porte-parole de la RTS, Christophe Minder, aux questions de watson rangent la chaîne publique plutôt parmi ces derniers.

Les explications de la RTS

Les coulisses du jeu, d'abord:

«"C’est ma question" tourne partout en Suisse romande: dans des musées, des clubs de sport, des festivals, dans la rue ainsi que dans des écoles, avec l’autorisation des parents et en collaboration avec le corps enseignant. C’est ainsi que la question de la fillette a été proposée parmi trois autres, et sélectionnée par deux candidates de notre émission.»
Christophe Minder

Ensuite, l’endroit d’où la fillette pose sa question est bien une école, «une école publique du canton de Genève», précise Christophe Minder.

Enfin: la RTS est-elle sensible à la question du voilement des fillettes, voilement qui ne procède généralement pas d'un choix? Réponse de son porte-parole:

«En tant que média de service public, la RTS n’a pas à se positionner sur ce type de questions. Le rôle de la RTS est de proposer des contenus avec et pour les gens de Suisse romande, sans aucune forme de discrimination»
Christophe Minder

Mise face à cette dernière déclaration, Nadine Richon, sollicitée par watson, rétorque:

«La RTS adopte ici une attitude à la Ponce-Pilate en se lavant les mains d’un problème qu’elle refuse de voir»
Nadine Richon

La militante laïque développe:

«La RTS accuse implicitement de discrimination ceux pour qui le voile et le voilement des fillettes en particulier relèvent d’un conditionnement idéologique contraire à l’égalité entre les femmes et les hommes. Au fond, la RTS pratique l’inversion accusatoire, qui, l’ignore-t-elle?, est une stratégie bien rodée des islamistes.»
Nadine Richon

«Face au phénomène du voilement qui prend une certaine ampleur en Suisse romande, mais qui reste minoritaire parmi les musulmanes, il ne s’agit pas de faire porter toute la responsabilité au messager, en l’occurrence la RTS, mais ce n’est pas pour autant que la RTS n’a pas de responsabilité quant à ses contenus», poursuit Nadine Richon.

A la décharge de la RTS, il aurait été pour le moins malvenu de refuser à Samira le droit de poser une question, comme a pu le faire l’ensemble de ses camarades de classe, au motif qu’elle est voilée. De même aurait-il été incompréhensible que sa question enregistrée ne soit pas diffusée. Une telle attitude à son égard aurait certainement été ressentie comme vexatoire.

C'est à l'école qu'il faut poser la question

Dans l'affaire, sans ôter de sa responsabilité à la chaîne publique, c’est peut-être moins la RTS que l’école publique genevoise qui doit être interrogée. Canton laïque, dotée d’une loi ad hoc entrée en vigueur en 2019, et depuis 2016 d’une brochure rappelant aux écoles publiques les principes de la laïcité, la République genevoise interdit à ses fonctionnaires et agents toute expression religieuse dans le cadre de leur travail, mais cet interdit ne vaut pas pour les usagers, élèves de l’école publique inclus. Autrement dit, contrairement à ce qu'il en est en France, où le Conseil d'Etat a validé jeudi l'interdiction de l'abaya en classe, les élèves genevois peuvent porter des signes religieux. Les petites filles, un voile dès 7, 8 ou 9 ans? La réponse est oui.

«Le voile a pris de l’ampleur en peu d'années en Suisse»

A l’époque, le législateur n’a pas souhaité, a-t-on plusieurs fois entendu, «faire comme en France, ce pays hystérique», en élargissant aux élèves l'interdiction du port de signes religieux ostensibles. Certains qui y étaient opposés seraient aujourd’hui favorables à cette extension. «Le voile a pris de l’ampleur en quelques années en Suisse», note l’un d’eux, expert auditionné au moment de la rédaction de la loi genevoise sur la laïcité.

Mais surtout, le Département de l’instruction publique du canton de Genève désapprouve le voilement des fillettes. En théorie du moins. L’an dernier, il avait ainsi fait retirer d’une école primaire une image insérée dans un support pédagogique qui montrait deux fillettes voilées.

Interrogé sur cette image par watson, le secrétaire général-adjoint du DIP en charge des questions sociétales, Nicolas Tavaglione, avait été très clair à l'époque:

«Cette illustration montrant deux fillettes prépubères voilées n’a pas sa place dans quelque cours que ce soit. C’est contraire à tous nos principes»
Nicolas Tavaglione, secrétaire général-adjoint du DIP

«Des conflits de loyauté qui peuvent être destructeurs»

Dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une image, mais d’une petite fille bien réelle. Chez les féministes, certaines estiment que l’interdiction du voile musulman à l’école – les autres religions étant peu concernées – placerait une partie des filles dans «des conflits de loyauté potentiellement destructeurs vis-à-vis de leurs parents», comme le craint une journaliste romande jointe par watson.

Ces mêmes féministes espèrent que les filles portant un voile – enfant, comme cela arrive parfois, ou adolescente, comme il s’en voit plus souvent – l’ôteront un jour, oubliant peut-être qu'il s'agit là d'une prescription dont il est mentalement difficile de se départir après coup. Les tenants d’une laïcité intransigeante estiment pour leur part qu'une claire interdiction des signes religieux ostensibles chez les élèves est de nature à prévenir les conflits de loyauté.

En raison du Jeûne genevois jeudi 7 septembre, watson n'a pas pu joindre le DIP pour lui demander de réagir à l'ensemble de ces points de vue, et d'abord au voile porté par cette écolière de 9 ans en contradiction avec tous ses principes.

*Prénom modifié

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