Un jour de cette semaine, en début de soirée, sur RTS 1. Deux candidates du jeu «C’est ma question» choisissent la personne qui leur posera la prochaine question. Entre Claire, Isabelle, Samira* et Gérard, ce sera Samira, décident-elles.
Après avoir dit son prénom et son âge, 9 ans, cette dernière, dont l’intervention a été enregistrée et qui n’est donc pas présente sur le plateau, demande aux deux femmes quelle marque a créé le chocolat blanc. Les participantes réfléchissent un instant avant de cocher la case «Nestlé». Exact, confirme Samira, toujours dans un propos enregistré.
Et alors? Et alors Samira apparaît voilée parmi ses camarades de classe d’une école primaire. Un voile rentré dans le col de son sweat-shirt couvre ses cheveux. La petite fille est adorable et semble toute fière de poser une question en lien avec le thème «société et traditions», intégrateur s'il en est. La petite-fille n’est pas le «problème».
Pour le Réseau laïque romand (RLR) qui a vu l’émission, le «problème», c’est son voile. Le RLR estime que le voile est un objet de domination masculine, le moyen par lequel les islamistes tentent d'imposer une doctrine hégémonique, au détriment, en premier lieu, des musulmans eux-mêmes. Pour le groupe militant laïque, le problème du présent voile est aggravé par le fait que celle qui le porte est une fillette et par le fait que la RTS diffuse son image, comme si cela allait de soi.
Plume du RLR, la Vaudoise Nadine Richon adresse le lendemain un courrier au directeur de la RTS, Pascal Crittin. Une lettre publique, parue sur le blog qu’elle tient dans les colonnes du site Le Peuple. Une lettre où elle précise n’en avoir pas après l’islam, mais après les «officines islamistes». Nadine Richon renvoie la direction de l’audiovisuel public romand à la dimension «politique» du voile et l’interpelle sur sa responsabilité face à cette question.
Extrait:
Venons-en à l'émission elle-même: pourquoi une petite fille est-elle apparue voilée dans ce jeu familial? Pourquoi pas?, rétorqueront ceux qui ne voient pas là motif à questionnement et encore moins à indignation. Les réponses écrites envoyées par le porte-parole de la RTS, Christophe Minder, aux questions de watson rangent la chaîne publique plutôt parmi ces derniers.
Les coulisses du jeu, d'abord:
Ensuite, l’endroit d’où la fillette pose sa question est bien une école, «une école publique du canton de Genève», précise Christophe Minder.
Enfin: la RTS est-elle sensible à la question du voilement des fillettes, voilement qui ne procède généralement pas d'un choix? Réponse de son porte-parole:
Mise face à cette dernière déclaration, Nadine Richon, sollicitée par watson, rétorque:
La militante laïque développe:
«Face au phénomène du voilement qui prend une certaine ampleur en Suisse romande, mais qui reste minoritaire parmi les musulmanes, il ne s’agit pas de faire porter toute la responsabilité au messager, en l’occurrence la RTS, mais ce n’est pas pour autant que la RTS n’a pas de responsabilité quant à ses contenus», poursuit Nadine Richon.
A la décharge de la RTS, il aurait été pour le moins malvenu de refuser à Samira le droit de poser une question, comme a pu le faire l’ensemble de ses camarades de classe, au motif qu’elle est voilée. De même aurait-il été incompréhensible que sa question enregistrée ne soit pas diffusée. Une telle attitude à son égard aurait certainement été ressentie comme vexatoire.
Dans l'affaire, sans ôter de sa responsabilité à la chaîne publique, c’est peut-être moins la RTS que l’école publique genevoise qui doit être interrogée. Canton laïque, dotée d’une loi ad hoc entrée en vigueur en 2019, et depuis 2016 d’une brochure rappelant aux écoles publiques les principes de la laïcité, la République genevoise interdit à ses fonctionnaires et agents toute expression religieuse dans le cadre de leur travail, mais cet interdit ne vaut pas pour les usagers, élèves de l’école publique inclus. Autrement dit, contrairement à ce qu'il en est en France, où le Conseil d'Etat a validé jeudi l'interdiction de l'abaya en classe, les élèves genevois peuvent porter des signes religieux. Les petites filles, un voile dès 7, 8 ou 9 ans? La réponse est oui.
A l’époque, le législateur n’a pas souhaité, a-t-on plusieurs fois entendu, «faire comme en France, ce pays hystérique», en élargissant aux élèves l'interdiction du port de signes religieux ostensibles. Certains qui y étaient opposés seraient aujourd’hui favorables à cette extension. «Le voile a pris de l’ampleur en quelques années en Suisse», note l’un d’eux, expert auditionné au moment de la rédaction de la loi genevoise sur la laïcité.
Mais surtout, le Département de l’instruction publique du canton de Genève désapprouve le voilement des fillettes. En théorie du moins. L’an dernier, il avait ainsi fait retirer d’une école primaire une image insérée dans un support pédagogique qui montrait deux fillettes voilées.
Interrogé sur cette image par watson, le secrétaire général-adjoint du DIP en charge des questions sociétales, Nicolas Tavaglione, avait été très clair à l'époque:
Dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une image, mais d’une petite fille bien réelle. Chez les féministes, certaines estiment que l’interdiction du voile musulman à l’école – les autres religions étant peu concernées – placerait une partie des filles dans «des conflits de loyauté potentiellement destructeurs vis-à-vis de leurs parents», comme le craint une journaliste romande jointe par watson.
Ces mêmes féministes espèrent que les filles portant un voile – enfant, comme cela arrive parfois, ou adolescente, comme il s’en voit plus souvent – l’ôteront un jour, oubliant peut-être qu'il s'agit là d'une prescription dont il est mentalement difficile de se départir après coup. Les tenants d’une laïcité intransigeante estiment pour leur part qu'une claire interdiction des signes religieux ostensibles chez les élèves est de nature à prévenir les conflits de loyauté.
En raison du Jeûne genevois jeudi 7 septembre, watson n'a pas pu joindre le DIP pour lui demander de réagir à l'ensemble de ces points de vue, et d'abord au voile porté par cette écolière de 9 ans en contradiction avec tous ses principes.
*Prénom modifié