Dimanche 20 août devant les caméras du monde entier, le président de la RFEF, Luis Rubiales, embrasse de force l'attaquante Jennifer Hermoso lors de la cérémonie de remise des médailles du Mondial de football féminin remporté par l'Espagne.
Depuis, c'est tout un pays qui s'embrase. Les politiques de gauche comme de droite sont choquées et indignées. Le sujet est repris quotidiennement par les médias nationaux. Lundi, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Madrid en soutien à Jenni Hermoso. Le slogan et hashtag Se acabó («c'est terminé») est fortement relayé pour dénoncer les violences envers les femmes et est déjà considéré comme le #metoo du football espagnol. Comment expliquer un tel raz-de-marée en Espagne? Décryptage.
Avant toute chose, il est essentiel de rappeler que depuis mai 2022, le gouvernement de coalition de gauche a renforcé sa législation en matière de lutte contre le viol. La loi «seul un oui est un oui» a été votée, inscrivant ainsi le consentement sexuel explicite dans le Code pénal.
Cette législature qui vise à plus d'égalité est considérée comme l'une des plus avant-gardistes d'Europe. Irene Montero, ministre de l'Egalité, avait qualifié cette décision de «pas décisif» pour changer la culture sexuelle de l'Espagne. «Nous voulons abandonner la culture du viol et créer une culture du consentement», avait-elle indiqué à l'époque.
Un baiser forcé est donc considéré comme un délit pénal. Désormais, sans circonstance aggravante, l'auteur risque une peine de cinq ans de prison maximum.
Lundi, le parquet espagnol a ouvert une enquête préliminaire à l'encontre de Luis Rubiales pour agression sexuelle présumée. Le même jour, la RFEF s'est prononcée en faveur d'une démission de son président. La FIFA pourrait quant à elle faire pression pour que Rubiales soit banni de toute activité liée au football pendant 15 ans.
«Il y a déjà eu énormément de dénonciations d'abus dans le monde du sport en Espagne, explique Pilar Calvo, présidente de l'association Mujeres en el Deporte Profesional (AMDP). Mais il n'y avait que peu de répercussions. Il est temps de dire stop.» Selon elle, cette affaire pourrait être la goutte d'eau qui fera déborder le vase.
«Si cette affaire a un tel retentissement, c'est effectivement parce que les joueuses de la Roja sont très suivies et appréciées dans le pays, explique Isabelle Poutrin, professeure à l'université de Reims et historienne spécialiste de l'Espagne. La plupart d'entre elles viennent de grands clubs comme le Real Madrid ou le FC Barcelone. L'agression de Rubiales soulève donc la question du traitement des joueuses en opposition à celui réservé à leurs confères masculins.»
De manière générale, l'agression soulève les questions des violences à l'égard des femmes et des inégalités dans le monde du travail – rappelons que Jenni Hermoso était en train d'exercer sa profession au moment des faits. «Les Espagnoles sont nombreuses à être concernées quotidiennement par ces violences vécues parfois dans l'ombre. C'est ce qui explique leur unité actuellement», poursuit l'historienne.
De telles réactions auraient-elles eu lieu dans d'autres pays, en Suisse ou en France par exemple? «Je ne suis pas sûre. Les Espagnoles sont beaucoup plus sensibilisées aux violences de genre» répond l'experte, qui confirme que l'engagement féministe est plus fort en Espagne, un pays avant-gardiste considéré comme une référence en Europe en matière de droit des femmes. Pourquoi?
A la fin du franquisme, durant la transition démocratique au début des années 1980, les Espagnols ont vécu une entrée dans la modernité «à laquelle ils aspiraient», précise Isabelle Poutrin. En 1983, l'Institut de la Femme – devenu aujourd'hui l'Institut des Femmes rattaché au ministère de l'Egalité – a joué un rôle important dans la visibilité de la cause. Désormais, il produit des statistiques et met en place des campagnes de sensibilisation publiques. «Il y a une éducation nationale autour de la question de l'égalité», affirme l'historienne. Cet été d'ailleurs, la campagne Ser Libre. Estar Viva. España a été déployée pour lutter contre les violences machistes.
Le traitement médiatique de ces questions est également différent par rapport à d'autres pays, ajoute l'experte. Les médias espagnols suivent le mouvement et se montrent souvent critiques à l'égard des violences sexistes et sexuelles. Isabelle Poutrin cite en exemple un reportage diffusé à heure de grande écoute sur une chaîne nationale, qui expliquait point par point pourquoi le comportement de Rubiales était abusif.
A souligner également la mise en place d'un gouvernement paritaire sous le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez, à la tête du pays depuis 2018. Actuellement, les ministres de la Justice, des Finances, de l'Egalité, de la Science et de l'Innovation, des Transports ou encore de la Défense – pour n'en citer qu'une partie – sont des femmes.