Les glaciers ne sont pas immobiles: ils avancent lentement, un peu comme une très lente rivière de glace. En montagne, la neige qui tombe s’accumule et se transforme peu à peu en glace, qui descend ensuite doucement vers la vallée à cause de la pente. Mais en descendant, la glace atteint des zones plus chaudes. Là, elle fond plus rapidement que la nouvelle glace qui arrive par le haut. C’est pour cela que la plupart des glaciers reculent aujourd’hui.
Normalement, ce mouvement est très lent: à peine quelques centimètres par jour. Mais dans le cas du glacier de Blatten, quelque chose d’anormal s’est produit. Il s’est mis à bouger beaucoup plus vite. Des appareils installés sur l’autre versant de la vallée ont enregistré cette accélération au cours des dernières semaines.
En effet, l’année dernière, les scientifiques ont observé un phénomène très inhabituel en Suisse: alors que presque tous les glaciers du pays reculent à cause de la chaleur, le glacier du Birchhorn, lui, avançait. Sa langue glaciaire – c’est-à-dire sa partie la plus basse – n’était pas en train de fondre, mais de s’épaissir. A certains endroits, sa hauteur avait même augmenté de vingt mètres. Matthias Huss, scientifique de l'EPFZ, décrit:
En effet, les glaciers du monde entier sont presque tous en train de fondre en raison du réchauffement climatique.
Même si le glacier semblait grandir par endroits, le glaciologue Matthias Huss pense qu’il perdait en réalité de la masse globale, comme tous les autres. Mais en bas du glacier, un phénomène particulier s’est produit: au fil des ans, plusieurs chutes de pierres sont survenues. Ces éboulis ont mis une pression supplémentaire sur la glace, en particulier en profondeur.
Sous cette forte pression, la glace a commencé à fondre lentement, là où elle touche le sol. Cela a créé une sorte de couche d’eau entre la glace et la roche, un peu comme un coussin glissant. Le glacier s’est alors mis à glisser lentement sur ce film d’eau.
Et un jour, la pression est devenue trop forte. Le glacier n’a plus tenu: il s’est soudainement décroché et s’est effondré en une seule fois.
Cet événement a libéré une énergie colossale: environ 9 millions de tonnes de roches, d’eau et de glace ont dévalé mille mètres de dénivelé jusqu’au fond de la vallée.
La chute était si violente que beaucoup de glace s'est transformée avec la friction en eau pendant qu’elle tombait. Ce changement d’état — de la glace vers l’eau — a rendu le mouvement encore plus rapide, car l’eau agit comme un lubrifiant, facilitant le glissement.
Même après l’effondrement, tout n’est pas terminé. D’après Matthias Huss, il reste encore de la glace piégée à l’intérieur du gigantesque amas de débris qui s’est formé au fond de la vallée — un amas composé de roches, de boue et de blocs de glace. «Mais il est difficile de dire quelle est la densité réelle du cône et quelle quantité d'eau de la rivière il laisse passer», indique l'expert.
Hier, même le conseiller fédéral Albert Rösti a déclaré qu’on avait affaire à «un événement millénaire». Le glaciologue Matthias Huss confirme:
Des siècles durant, Blatten a été épargné par les glaciers. Est-ce donc la hausse des températures qui a déclenché la catastrophe? Réponse de Matthias Huss: «Bien qu'il faille encore établir plus précisément le lien avec le changement climatique, cela ne fait plus l'ombre d'un doute aujourd'hui».
Mais selon lui, une telle catastrophe résulte toujours d'un enchaînement de causes défavorables:
Tout a commencé avec un éboulement au Nesthorn (situé au-dessus), qui a augmenté la pression sur le glacier, lequel était déjà instable sur son «coussin hydraulique». Et, dernier drame dans le déroulé des événements, la rivière Lonza a formé, mercredi, un lac de retenue qui a fini par engloutir des maisons, jusqu'ici épargnées.
Matthias Huss ne connaît qu’un seul événement comparable dans le monde : en 2002, une avalanche de roches s’est abattue dans les gorges de Karmadon, dans le Caucase, provoquant la chute d’un glacier dans la vallée. Environ 140 personnes y ont perdu la vie.
Des chercheurs russes, suisses et canadiens ont étudié le phénomène. Ils expliquent dans une étude de 2005:
Du jamais-vu, à leurs yeux.
Dans le Lötschental, ce scénario semble s’être reproduit. La catastrophe était certes prévisible. La population a pu être évacuée. Mais rien d’autre n’était humainement possible, la puissance de nature a été la plus forte.
(Adaptation en français: Valentine Zenker)