Pour les victimes du samedi 9 mars, surpris par la tempête dans le secteur de Tête Blanche (VS), le douloureux chemin vers la mort a dû ressembler à une anesthésie. L'alpiniste Beck Weathers, pris au piège dans une tempête sur l'Everest en 1996, avait d'ailleurs cette phrase:
«La montagne n'est ni juste ni injuste. Elle est dangereuse», disait Reinhold Messner. Le légendaire alpiniste transalpin, oracle de l'alpinisme, aimait dire que «l'activité la plus schizophrène est l'alpinisme extrême». A ses yeux, mourir de froid est une belle mort.
Mais lorsque l'hypothermie vous envahit, la sensation est difficile à digérer, comme l'ont rapporté ceux qui ont traversé cette sensation de coma hypothermique.
Interrogée par la NZZ, l'alpiniste suisse Evelyne Binsack, prise dans une violente tempête en 1986 sur la crête ouest du Salbitschijen, dans les Alpes uranaises, avoue avoir vécu «une nuit terrible».
Urs Hefti, le médecin-chef de la Swiss Sportclinic de Berne, précise que l'hypothermie a un impact sur votre cerveau: «A mesure qu'elle progresse, des changements neurologiques se produisent». La bataille contre le froid engage un «déshabillage paradoxal». En somme, la victime pense avoir chaud. Alors, le froid extrême n'est plus ressenti et le corps commence à déconnecter.
Mais il y a des destins plus heureux. A l'image de Beck Weathers, prisonnier d'une tempête au printemps 1996, revenu d'entre les morts au prix d'une course effrénée pour ne pas passer l'arme à gauche. Il a publié un livre, Laissé pour mort à l'Everest, avant de voir son récit adapté au cinéma avec le film Everest (2016) de Baltasar Kormakur.
L'alpiniste américain confessait au Monde qu'il avait littéralement «gelé à mort». Et d'enchaîner:
Son expérience de mort imminente, après avoir essuyé une violente tempête sur plus de 22 heures, revenait presque à du surnaturel, complètement déconnecté et végétant dans un état de confusion absolue.
Même discours pour Nigel Vardy, qui s'est retrouvé coincé par une tempête sur le Mont McKinley, en Alaska, en 1999. Il a vécu un calvaire dans des températures de -60 degrés, comme il l'expliquait au Guardian: «Steve (réd: Ball, son compagnon de cordée) était pâle, frissonnait et son esprit vagabondait. L'hypothermie est une chose vraiment déprimante à voir».
Les températures extrêmes vous frappent de plein fouet, elles altèrent le niveau d’attention, la coordination faiblit et les comportements à risque se multiplient. Survient enfin une perte de conscience, qui peut être fatale par arrêt cardiaque et un manque d’oxygène trop long dans le cerveau.
Dans une dernière tentative pour rester en vie, nos mécanismes de contrôle interne coupent le flux sanguin chaud vers les extrémités, comme nos mains et nos pieds. La chaleur corporelle est conservée pour les organes vitaux.
Ces récits, seules les expéditions en haute montagne peuvent en accoucher. Et l'Everest est le lieu où les histoires les plus folles sont écrites. Il y a celle de Donald Cash, ce vendeur de logiciels américain qui s'est lancé dans une quête des plus hauts sommets de chacun des continents. Il s'est effondré juste après avoir atteint son objectif, en redescendant, épuisé par l'effort.
Mais il n'est pas le seul à être resté sur la montagne. Plus de 200 cadavres seraient encore sur le point culminant de l'Himalaya. Plusieurs vidéos ont d'ailleurs été postées. Nate Douglas, un alpiniste américain, a exposé la froide réalité du milieu alpiniste, avec des images glaçantes lors de sa montée pour conquérir le toit du monde.
Le rapatriement des corps est quasi impossible. Ceux qui restent, en deviennent même des repères visuels, comme «Green Boots», une dépouille non identifiée qui indique les 8 500m.
A force, le sommet le plus haut du monde est devenu un cimetière à ciel ouvert. A Tête Blanche, la montagne valaisanne a, elle aussi, décidé de garder un corps dans ses entrailles.