La chouette hulotte fait entendre son cri mélancolique depuis les sapins sombres. Les grillons chantent jusque tard dans la nuit, comme s'il n'y avait pas de lendemain. Et dans le ciel nocturne, les étoiles filantes des Perséides tracent leurs lignes. C'est vendredi soir, 22 heures, une soirée d'été à la beauté kitsch près de la petite cité médiévale de Saint-Ursanne dans le Jura. La nature à l'état pur.
Mais cette impression est trompeuse. Jerôme Plomb se tient au bord du Doubs. De l'eau s'écoule de sa combinaison néoprène. Dans une main, il tient une lampe de poche, dans l'autre une épuisette. «C'est frustrant, très frustrant», dit-il. Avec une demi-douzaine d'autres hommes et femmes grenouilles, Plomb vient de parcourir un tronçon de rivière d'environ 300 mètres.
Parfois immergés jusqu'à la taille, ils remontaient le courant à la nage, alignés, scrutant le fond du fleuve avec leurs lampes, à la recherche de l'Apron, le martinet du Rhône. Ou comme on l'appelle ici: le Roi du Doubs. Il s'agit d'une recherche par quadrillage, comme le fait la police judiciaire. Mais le résultat est décevant et triste: pas d'Apron en vue.
Lorsque les yeux du Roi du Doubs sont éclairés la nuit par une lampe puissante, ils reflètent la lumière comme ceux d'un chat. C'est la méthode la plus simple pour débusquer ces poissons très rares, «l'une des espèces de vertébrés les plus menacées d'Europe», comme l'écrit l'Office fédéral de l'environnement. L'espèce ne se trouve plus que dans quelques rivières en France. En Suisse, elle n'est présente que dans le Doubs, si tant est qu'elle le soit.
Depuis 20 ans, l'ingénieur environnemental Jerôme Plomb participe au suivi de la population d'Apron. Il y a dix ans déjà, lorsque la Fédération suisse de pêche a désigné cette espèce strictement protégée comme poisson de l'année 2013, un inventaire n'avait recensé que 52 spécimens. Depuis, des pêcheurs font état d'observations de temps à autre. Mais la dernière preuve scientifique remonte à 2021. Jerôme Plomb a lui-même pêché un Apron pour la dernière fois en 2019. C'est ce qu'il qualifie de frustrant:
Les derniers spécimens doivent maintenant être retrouvés au prix de gros efforts. L'objectif: établir un élevage dans l'aquarium «Aquatis» à Lausanne afin de préserver l'espèce et de renforcer la population dans le Doubs.
Le projet s'inspire d'un programme similaire qui a connu ses premiers succès en France. Il est soutenu par la Confédération et le canton du Jura, ainsi que par la Fédération suisse de pêche, Pro Natura et le WWF. Ils se sont associés dans le projet «Doubs vivant».
La collaboration entre les associations remonte à 2011, lorsqu'une attaque de champignons a entraîné une importante mortalité des poissons. Plus d'un millier de personnes ont alors manifesté dans le village frontalier de Goumois contre la pollution du Doubs. «Apparemment, le système immunitaire des poissons était affaibli», explique Céline Barrelet, responsable du projet «Doubs vivant».
Selon elle, plusieurs facteurs pèsent sur la rivière et ont conduit à la diminution de la population du Roi du Doubs. Premièrement, les seuils ne sont parfois pas franchissables par les poissons. A cela s'ajoute l'imperméabilisation du fond de la rivière par des dépôts de calcaire et d'algues. «Et comme par le passé, certaines stations d'épuration des eaux usées ne sont pas à la pointe de la technologie», explique Barrelet. La rivière continue d'être polluée par des produits chimiques.
La pression politique a tout de même abouti à un plan d'action national de la Confédération. Il vise à rétablir la fonctionnalité des écosystèmes et à assurer notamment la survie de l'Apron. Les autorités ont ainsi suivi les recommandations de la Convention internationale de Berne qui oblige la Suisse à protéger de l'extinction les espèces menacées sur son territoire. Certaines améliorations ont déjà été réalisées. L'opération de sauvetage de cette année et l'élaboration d'une nouvelle stratégie de conservation de l'Apron font également partie du plan de mesures.
Cette initiative arrive, toutefois, un peu tard. En effet, deux opérations de recherche ont déjà eu lieu depuis le début du mois de juillet et les deux ont été sans succès. Avant le début de la troisième opération de recherche de vendredi, Jérôme Plomb déclare qu'il n'est pas certain de ce qui se passera l'année prochaine si l'on ne trouve pas d'Aprons à ce jour. Le Roi du Doubs sera-t-il abandonné?
Au moment où l'ingénieur environnemental s'exprime, il a encore deux espoirs: L'opération de recherche de vendredi soir et les résultats d'une analyse ADN. Des recherches de matériel génétique du Roi du Doubs sont en cours dans des échantillons d'eau prélevés à plusieurs endroits de la rivière. Les résultats devraient être disponibles fin septembre. Si les résultats sont positifs, cela indique l'existence de l'espèce rare, et la recherche sera de nouveau intensifiée aux endroits d'où proviennent les échantillons.
Mais lorsque l'équipe de sauveteurs se rend sur le troisième et dernier site à prospecter cette nuit de vendredi à samedi, la confiance s'étiole. Trop de temps a déjà été investi, sans aucun signe de vie du Roi du Doubs.
Il est minuit et demi, deux ans après la dernière observation confirmée, lorsque le petit miracle se produit: Près de l'Auberge de la Charbonnière, les yeux d'un Apron s'allument soudain à la lumière de la lampe de poche. Et comme le poisson se fie à son camouflage et se recroqueville immobile sur le sol, il se laisse facilement attraper à l'épuisette. C'est une femelle de 23 centimètres de long. En bonne santé.
«Cela nous donne de l'espoir», dit Céline Barrelet de «Doubs vivant».
Toujours est-il qu'une réponse positive a été apportée à cette question. Et comme il s'agit d'une femelle, il y a de fortes chances que des juvéniles soient également présents dans la rivière. «Maintenant, la recherche peut continuer», dit-elle: «Pour mettre en place un élevage, il faut au moins une femelle et un mâle».
Traduit et adapté par Nicolas Varin