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«J'aurais tellement voulu être papa»

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«J'aurais tellement voulu être papa»

De nombreux hommes souffrent lorsque leur rêve de paternité ne se réalise pas. Bien souvent, ils n'en parlent à personne. Pourtant, l'absence d'enfant peut changer un homme.
19.05.2024, 06:49
Dirk Weber / ch media
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Tiziano a toujours voulu avoir des enfants. De préférence, deux. Fonder une famille faisait partie de son plan de vie. Sa femme et lui se marient un an après leur rencontre. Il a alors 39 ans et elle 32. Le rêve d'une famille semble à portée de main. Pour Tiziano, mettre au monde des enfants avec son épouse relève tout simplement du destin. Il connaît bien la Genèse:

«Dieu bénit Noé et ses fils et dit: Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre»

Mais le couple peine à y parvenir.

Bernard a, lui aussi, ressenti très tôt le désir de devenir papa un jour, de poursuivre l'histoire familiale et de transmettre son expérience. Au milieu de la trentaine, cette envie devient de plus en plus forte, mais il lui manque la personne avec qui partager cela.

Avoir des enfants n'est pas donné à tout le monde, ni aux hommes ni aux femmes. Mais bien souvent, la souffrance liée à un désir de paternité inassouvi est négligée, minimisée ou – pire encore – ne leur est pas du tout reconnue aux hommes au seul motif de leur genre. A croire notre société: les hommes involontairement sans enfant, ça n'existe pas.

60% des jeunes Suisses ont un sperme «médiocre»

Les recherches pour cet article ont été fastidieuses et se sont étendues sur plusieurs mois. Selon l'hôpital universitaire de Zurich, en Suisse, un couple sur cinq n'a pas d'enfant. Cela signifie qu'il doit y avoir des dizaines de milliers d'hommes qui auraient préféré en avoir, mais on ne les voit pas et on ne les entend pas. A l'inverse des femmes sans enfants.

Comme si l'absence de progéniture était un problème exclusivement féminin. En 2019, des chercheurs de l'Université de Genève ont publié la première étude nationale sur le thème de l'infertilité masculine. Résultat: 60% des 2500 sujets âgés de 18 à 22 ans présentaient une qualité de sperme médiocre.

Lorsque männer.ch, l'association faîtière des hommes progressistes suisses et des organisations de pères, a lancé un appel pour évoquer le sujet dans un podcast, personne ne s'est manifesté. Pas un seul homme. «C'est un sujet très intime», estime le porte-parole de männer.ch, Thomas Neumeyer. Il poursuit:

«Nombreux sont ceux pour qui la paternité est un point central de l'image qu'ils ont d'eux-mêmes – et un pilier de leur identité masculine. Parler du fait que cela n'arrivera peut-être jamais, c'est douloureux»

Car le désir d'enfant intense est encore presque exclusivement attribué aux femmes. Les pères le deviendraient plutôt malgré eux. C'est ce qu'on dit, mais dans les faits, il en va autrement.

La capacité à procréer est un élément fort de l'estime de soi masculine.

«Un homme sera plus ou moins touché par ses problèmes de fertilité selon ses perspectives de vie. Mais même s'il ne souhaite pas forcément avoir une descendance, cela peut bien sûr remettre en question l'image qu'il a de lui-même»
Thomas Neumeyer, porte-parole de männer.ch

Alors que la volonté divine ne suffit pas à Tiziano et à sa femme pour pouvoir procréer, ils finissent par se rendre dans un centre de fertilité. Ils comprennent alors ce qui ne va pas: la qualité du sperme de Tiziano rend une fécondation naturelle pratiquement impossible. «Je soupçonnais déjà quelque chose de ce genre», avoue-t-il.

«Quand j'ai entendu le diagnostic, j'étais quand même sous le choc. Cela m'a vraiment marqué et m'a beaucoup préoccupé de ne pas pouvoir avoir d'enfants»
Tiziano

Sa stérilité égratigne son estime et sa masculinité. Même si, dans un premier temps, il a du mal à l'admettre. «Après avoir appris que ma femme ne serait jamais maman à cause de moi, j'ai sérieusement réfléchi à la possibilité de la quitter pour lui donner une chance de rencontrer un nouvel homme avec lequel elle pourrait s'accomplir.»

«Je ressentais vraiment un manque»

Pour Bernard aussi, qui – comme Tiziano – préfère ne pas divulguer son nom de famille, l'avenir semble assez sombre en ce qui concerne son désir d'enfant. Aujourd'hui âgé de 50 ans, il a grandi dans l'est de l'Allemagne. Après la chute du Mur, raconte-t-il, de nombreuses femmes sont parties à l'Ouest pour commencer une nouvelle vie. Lui est resté, a suivi une formation de commerçant et a toujours dû beaucoup travailler. Il ne lui restait que peu de temps pour nouer une relation.

«Je ressentais vraiment un manque», regrette aujourd'hui Bernard à propos de son souhait d'être père. Comme il est débrouillard et de nature à toujours chercher des solutions, il tente sa chance sur internet. Mais le coup de foudre tant attendu ne vient pas.

«Je n'ai pas vraiment une allure à la Schwarzenegger, celle qui fait craquer les femmes. Cela me rendait très triste, mais je n'en ai parlé à personne, je m'en suis toujours sorti tout seul»
Bernard

Bernard n'est pas le seul dans ce cas. Beaucoup d'hommes n'ont pas la bonne partenaire à leurs côtés: 47% des sondés ont invoqué cette raison dans une étude du ministère allemand de la famille. Chez les femmes, ce chiffre n'atteint que 35%. Dans le même temps, les hommes s'imaginent moins bien que les femmes éduquer seuls un enfant.

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image: Ikon/Imago

Bernard comprend peu à peu que ce n'est pas d'une relation amoureuse qu'il veut. Mais d'un bébé. Et pour cela, il ferait n'importe quoi. Il tombe par hasard sur un article de journal sur la coparentalité. Il n'avait jamais entendu ce terme auparavant, mais à partir de là, il peut mettre un mot sur son désir. Et celui-ci n'a rien à voir avec le modèle classique père-mère-enfant. Loin de lui, cette idée. Ce qu'il veut, c'est un enfant, mais sans devoir pour cela nouer une relation sexuelle ou romantique avec une femme.

Finalement, Bernard atterrit sur le site Familyship. L'une de ses fondatrices est Christine Wagner, qui vivait alors avec une femme avec qui elle voulait enfanter.

«Nous avons compris assez rapidement que nous ne cherchions pas seulement un donneur de sperme, mais un homme qui voulait être à la fois un père biologique et social.»
Christine Wagner

Comme personne dans leur entourage proche ne s'est manifesté, elles ont fondé Familyship par nécessité en 2011.

La coparentalité a été sa solution

Selon Christine Wagner, le site n'a cessé de croître et s'adresse désormais à toutes les personnes qui ont un désir qu'elles ne peuvent pas réaliser dans une famille normale. Actuellement, il y a environ 8000 membres actifs, dont un tiers d'hommes et environ un dixième de Suisses.

Les raisons pour lesquelles les hommes décident de faire ce pas sont très variées, explique Christine Wagner.

«Il y en a qui veulent seulement donner leur sperme ou qui sont intéressés par un rôle de père avec une fonction d'oncle. Mais depuis environ deux ans, ils sont de plus en plus à avoir à la fois un désir de paternité et de coparentalité.»
Christine Wagner

C'est le cas de Bernard. Il a la quarantaine lorsqu'il s'inscrit sur Familyship. Au début, il fait la connaissance de deux femmes. Si on lui demande comment il imaginait la mère de son enfant, il ne peut s'empêcher de rire et répond: «Une personne en bonne santé et en âge de procréer.» L'une de ses deux rencontres est à peine plus jeune que lui et vient de Dresde, à environ 60 kilomètres de son domicile. Pour lui, c'est le match parfait. Le premier rendez-vous a lieu dans un café. C'est comme s'il n'en avait jamais eu auparavant.

«Sauf qu'il ne s'agissait pas de trouver une partenaire de vie, mais quelqu'un qui vous aide à avoir des enfants»
Bernard

Au bout de deux mois, cela devient sérieux. Le couple décide d'essayer de procréer. Bernard se rend chez elle. «C'est un sujet délicat et cela n'a pas été facile à organiser», raconte-t-il. «Nous avons dû attendre qu'elle ait ses jours de fertilité.» Ils ont opté pour la méthode de la coupe, qui ne nécessite pas de rapports sexuels. A la place, la femme s'introduit dans le vagin une seringue remplie de sperme.

«Peu romantique, mais efficace»
Bernard

Au bout de quelques mois, elle est enceinte.

Lorsque Bernard annonce à ses parents et à son frère aîné qu'il va être père, leur enthousiasme reste mesuré. «Pour cela, il faut quand même un couple stable», estiment-ils. Mais depuis que son fils est né, tous les doutes se sont envolés.

Entre-temps, il a eu un autre enfant avec la même partenaire. Encore un garçon. Bernard travaille toujours beaucoup, mais il essaie de rendre visite à ses enfants deux fois par semaine. Parfois, ils viennent chez lui. Il envisage de déménager à Dresde. Selon lui, la relation avec la mère est amicale. «Nous ne sommes pas les meilleurs amis du monde, mais nous essayons toujours de trouver une solution ensemble. Les enfants sont au centre de nos préoccupations», affirme-t-il, avant d'ajouter:

«Un enfant, c'est pour la vie. Avec un(e) partenaire, c'est différent. Si on se sépare, on peut divorcer, emprunter des chemins différents. Un enfant, tu ne peux pas t'en débarrasser. Il fera toujours partie de toi»
Bernard

Tiziano n'est toujours pas papa. L'insémination artificielle n'était une option ni pour lui ni pour sa femme. «Certains couples investissent des milliers de francs, et au final, ça ne marche pas.» Devenir famille d'accueil ou adopter, il n'en était pas non plus question. Sa femme lui aurait toujours répondu la même chose. Qu'elle préférait passer sa vie avec lui – même sans enfants. Cela a sauvé leur relation.

«Les couples sans enfant rayonnent aussi»

Il a tout de même fallu un certain temps à Tiziano pour s'en accommoder. Lui et sa femme ont fondé l'association Glow avec deux couples d'amis. «Glow» signifie briller, éclairer, rayonner en anglais. «Les couples sans enfant rayonnent aussi», affirme Tiziano. L'association Glow veut leur apporter du soutien et des encouragements mutuels dans les moments les plus sombres du quotidien.

Tiziano parraine désormais un garçon et une fille. Une chance inouïe à ses yeux. Il s'occupe de son filleul environ deux fois par semaine et vit dans la même localité.

«Quand ma femme me voit avec lui, cela lui fait parfois mal. Elle réalise comment ce serait si nous étions parents»
Tiziano

(Traduit et adapté par Valentine Zenker)

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