Publiée sur Twitter il y a quelques jours, une affiche chapeautée par la Jeunesse socialiste en vue des élections fédérales d'octobre ne laisse pas indifférent. Ses couleurs vives, mais pas seulement, attirent l'attention.
"Fini les crises, à nous l'avenir !" C'est avec ce slogan et les magnifiques affiches ci-dessous que nous ferons campagne pour les élections fédérales 2023. Pour une société solidaire, égalitaire et écologique, nous gagnerons ces élections ! #VoterJS pic.twitter.com/HpkStltLWG
— JS Suisse (@JSSuisse) April 24, 2023
On y voit un petit groupe de personnes rassemblé sur une colline, devant une ville au bord d'un lac, qui pourrait être Genève, comme Lausanne, Zurich ou Lucerne. Un grand drapeau rouge ainsi qu'un poing sont brandis devant un soleil radieux aux rayons qui s'étendent loin dans le ciel. La palette de couleur est fortement marquée de rouge et de jaune.
L'affiche a été partagée en français et en allemand par la Jeunesse socialiste suisse. Les publications dans les deux langues n'ont pas manqué de faire réagir, plusieurs internautes dénonçant des affiches dignes des posters de propagande communiste. Du côté alémanique, notamment, on s'enflamme:
Ou une petite référence aux Beatles:
Ihr habt da was vergessen. Bitte, helfe gerne. #wahlen #ch1023 #wahlench #schweiz pic.twitter.com/TvQwPNMqkI
— Michael 🌞 (@mcaviglia) April 23, 2023
Les affiches seront visibles dans les villes dès la fin de l'été, à l'approche des élections fédérales, explique Thomas Bruchez, vice-président de la Jeunesse socialiste. La campagne de la formation sera axée autour de quatre thèmes, explique-t-il: le climat, le féminisme, l'économie et la migration. Et surtout:
Mit diesen wunderschönen Plakaten ziehen wir als @JusoSchweiz in die eidgenössischen Wahlen.
— Nicola Siegrist (@Nicola_Siegrist) April 22, 2023
Für Zukunft statt Krisen!
Mit der Hoffnung, dass eine bessere Welt möglich ist! 🌹 pic.twitter.com/stDfC3debw
Pour le jeune socialiste, ces affiches sauront séduire les jeunes, notamment ceux qui ont «perdu espoir en notre capacité de transformer la société». Pour autant, était-ce judicieux de créer une affiche à l'iconographie similaire à celle de la propagande communiste? Le jeune politicien réfute l'inspiration et balaie ces critiques d'un revers de la main:
Il explique: «Sur les affiches de tourisme suisses du siècle dernier, une personne au premier plan regarde souvent un paysage avec des chemins de fer ou une remontée mécanique. Nous avons souhaité reprendre cette esthétique-là, qui fait rêver.»
L'affiche des Jeunes socialistes peut-elle vraiment prétendre se distinguer des affiches communistes de la Guerre froide? Pour nous aider à la décrypter, Cyril Cordoba, maître-assistant au département d'histoire contemporaine de l'Université de Fribourg et auteur d'une thèse sur les relation entre la Chine et la Suisse durant la Guerre froide, nous livre quelques points d'analyse. Et pour l'historien, la ressemblance saute aux yeux:
De son côté, Thomas Bruchez assure que le rouge et le jaune sont des «couleur chaudes qui représentent l'espoir et le bien-être» en «rupture avec la froideur et la dureté de la réalité sociale actuelle».
Cyril Cordoba relève également la présence du poing levé et du drapeau rouge, même s'il note que «ceux-ci ne se retrouvent pas que chez les communistes, mais aussi dans d'autres mouvements de gauche, des socialistes aux anarchistes».
«Ce qui est le plus frappant, c'est le groupe de personnes compact qui regarde dans une même direction», explique l'expert.
Quid du grand soleil qui illumine toute l'affiche? «Ce genre de motif est très fréquemment utilisé dans les affiches de propagande stalinienne ou maoïste. Avec souvent, la tête du leader incarné dans l'astre.» L'historien relève toutefois qu'il est «assez habile d'utiliser ce symbole dans une campagne qui défend l'écologie et l'énergie solaire».
Cyril Cordoba relève toutefois une différence d'importance: «Il n'y a pas de corps de prolétaires musculeux en action, généralement masculins, comme sur les affiches soviétiques ou chinoises.»
Une foule dont la composition représente la modernité, somme toute. D'ailleurs, l'affiche met aussi en avant un champ d'éoliennes et une piste cyclable.
L'historien relève un dernier point à son analyse: «Si des symboles liés au communisme sont présents, je pense que la culture Internet est passée par là et qu'un certain côté second degré, bien présent en ligne dans les cercles de gauche, doit aussi être pris en compte pour analyser et comprendre cette affiche».
Pour couper directement l'herbe sous le pied des contradicteurs, Thomas Bruchez n'hésite pas à renier et dénoncer sans sourciller l'héritage de Mao ou de Staline, dont le bilan à eux deux est estimé entre 50 et 100 millions de morts. «C'est une évidence», dit le jeune politicien. Et de rajouter:
Il assure que la population saura reconnaître «des affiches qui suscitent l'espoir et portent une vision d'avenir» et pointe du doigt l'opposé du spectre politique:
Olivier Meuwly, également historien et fin observateur des affaires politiques, de sensibilité libérale-radicale, reprend la balle au bond: «L'UDC a été accusée par d'aucuns de produire des affiches plutôt douteuses», explique-t-il en faisant référence aux pancartes jugées xénophobes du parti. «Ici, la symétrie politique est quasi-parfaite.»
Par ailleurs, le Parti socialiste lui-même, dont les affiches sont plus sobres et moins connotées, n'a rien à voir avec ces créations. Contacté, il répond sobrement:
Une manière de se distancier? Car à six mois du grand soir des élections fédérales, le parti à la rose cherche à éviter de commettre la moindre bourde.