Pas de restau chic dans la vieille-ville pour fêter entre amis le retour au Conseil d’Etat de Pierre Maudet. Mais une pizzeria du boulevard Carl-Vogt où il a ses habitudes, dans le quartier populaire de la Jonction, à deux pas de l’Hôtel de police. Un signe? Magali Orsini, une inconditionnelle, ex-députée d’Ensemble à gauche au Grand Conseil (une erreur de parcours) était de la partie dimanche. Le remarié du jour devait bien cette attention à celle qui n'a pas eu l'honneur de figurer parmi les sélectionnés de son parti Libertés et Justice sociale, en compétition pour le parlement cantonal. Magali Orsini en est convaincue:
Vraiment? On s’interroge. Comment celui qui fut poussé hors de l’exécutif après l'éclatement du scandale de son voyage à Abu Dhabi, pourra-t-il refaire collège avec ses pairs? De la précédente mandature, trois sont toujours en poste: Nathalie Fontanet (PLR), Thierry Apothéloz (PS) et Antonio Hodgers (Les Verts). Les yeux en diront autant que la poignée de main, à l’heure gênée des retrouvailles. Maudet oubliera que Hodgers lui a pris sa place à la présidence du Conseil d’Etat, quittée précipitamment en 2018. Hodgers ravalera ses mots de procureur, tenus dans l’entre-deux tours contre Maudet. Quasi le même âge, les deux coqs vont devoir cohabiter dans la bassecour.
La nouvelle venue Anne-Carole Kast (PS), une réputation de pas commode, n’a pas tu son embarras à l’idée de gouverner avec l’ex-PLR, condamné par la justice pour avantage indu, relaxé par le peuple. Elle doute que la confiance, avec Pierre Maudet, puisse s’établir de sitôt, a-t-elle déclaré dimanche sur Léman Bleu.
«Il part avec un passif, c'est à lui de faire ses preuves auprès de ses collègues», estime le conseiller national socialiste genevois Christian Dandrès, parlant de Pierre Maudet. Il y a néanmoins du respect dans les mots du député au Parlement fédéral à propos du même: «C'est un homme très déterminé, quand il se fixe un objectif, il met tout en œuvre pour l'obtenir, c'est une personnalité politique extrêmement forte.» Christian Dandrès voit comme tout le monde Pierre Maudet dans un rôle de pivot, dont la gauche au Grand Conseil pourrait tirer profit sur des thématiques sociales, tel le logement.
Le revenant d'Abu Dhabi va devoir composer avec les fantômes du passé. Pour solde de tout compte, le PLR, né de la fusion des radicaux et des libéraux en 2011, fait valoir le divorce consommé avec l'ancien prince de la couronne. Ecoutons Bertrand Reich, président du parti, d'une froideur de crypte en janvier:
Même envie de passer au plus vite à autre chose chez Nathalie Fontanet, la PLR qui se profile comme la patronne du nouveau Conseil d’Etat. Elle appelle à tourner la page.
Question naïve: tout rabibochage est-il impossible entre le PLR et LJS, le blason de Pierre Maudet? Bertrand Reich va quitter la présidence de PLR. Ira-t-on chercher chez les ex-radicaux, qui fut le parti de Pierre Maudet, celui ou celle qui succédera à cet ex-libéral? Ce pourrait être interprété comme un geste de réconciliation. Mais il faudrait qu'il y ait à cela un quelconque intérêt de part et d’autre.
«Ils sont condamnés à s’entendre.» C’est John Dupraz, l’ex-conseiller national genevois radical, d’avant la fusion avec les libéraux, qu'il n'aime pas, qui parle.
Le vigneron de Soral, dans la campagne genevoise, n’est pas le plus objectif des hommes: il nourrit une admiration quasi paternelle pour le Kennedy de la politique genevoise.
Mais comment gouverner ensemble quand on ne s’apprécie pas, pire, quand on se déteste? Cet ancien conseiller d’Etat socialiste genevois fournit une partie des clés: «Il faut s’en tenir aux règles de fonctionnement basiques. Quand une décision importante est prise, l’objet sur lequel elle porte passe deux fois devant le collège. La première fois, chacun donne son avis, la deuxième fois, l’objet revient pour approbation du gouvernement. Qui peut le refuser.»
Les refus engendrent les frustrations. Notre expert, passé par l’exécutif cantonal poursuit:
Il arrive que l’ambiance au sein du collège soit exécrable. L’ex-conseiller d’Etat socialiste, alors président du gouvernement, se souvient avoir imposé le vouvoiement à ses collègues et l’obligation de s’annoncer avant de prendre la parole. «Tout cela est prévu par le règlement.»
Magali Orsini est décidément optimiste, c’est-à-dire réaliste:
Jean-Louis Fazio est l’un de ces «petits entrepreneurs» au cœur de la campagne de Pierre Maudet, qu'il a rallié. Artisan menuisier, il est un déçu du Parti socialiste, dont il fut un représentant durant onze ans au Conseil municipal de la ville de Genève, puis pendant neuf ans au Grand Conseil.
Jean-Louis Fazio ne s'inquiète pas pour la suite. «Les membres du Conseil d’Etat gouverneront par projets», pense-t-il, comme beaucoup. Le plus vache serait qu'on refile la police à Pierre Maudet, craignent ou espèrent certains. Fazio l'assure, les compétences de son champion «lui permettent de diriger n'importe quel département».