En Suisse, une personne placée sous curatelle peut siéger au législatif et à l'exécutif au niveau communal, cantonal et fédéral. Le Parlement souhaite aller plus loin: autoriser l'éligibilité même sans capacité de discernement. Un politologue s'inquiète.
17.02.2025, 05:5818.02.2025, 08:00
Début février, watson est au téléphone avec une personne élue au sein du législatif d'une grande ville romande pour les besoins d'un article. Lors de la discussion, nous apprenons que celle-ci serait sous curatelle d’accompagnement, l'un des 4 types de curatelles existants:
«La curatelle d’accompagnement est instituée avec le consentement de la personne protégée, lorsque celle-ci doit être assistée pour accomplir certains actes, tels que des démarches administratives.»
Pour rappel, en Suisse, l'institution d'une curatelle est décidée par l'autorité de protection de l'adulte. Dès lors, est-il vraiment possible qu'une personne qui a besoin d'aide pour, par exemple, la recherche d'un logement, l'envoi de courrier à différents prestataires ou le payement de factures puisse, entre autres, adopter des lois pour une commune, valider des budgets ou contrôler les comptes? Nous avons vérifié.
Le retrait du droit d'éligibilité
Effectivement: «Ce droit figure dans la loi fédérale», confirme Vincent Duvoisin, directeur des affaires communales et des droits politiques de l'Etat de Vaud. Il précise:
«Dans le canton de Vaud, les droits politiques (voter, élire et être élu) sont retirés par les communes suite à une décision de justice seulement lorsqu'une personne est protégée par une curatelle de portée générale avec une incapacité durable de discernement.»
Il en va de même pour Valais et Fribourg. A Neuchâtel, «une personne peut siéger au législatif et à l'exécutif, même si elle est sous curatelle, tant qu'il ne s'agit pas d'une curatelle de portée générale», répond Steven Russo, chargé des droits politiques à la chancellerie d'Etat. Pareil pour Jura:
«Les personnes placées sous curatelle de portée générale ne sont pas éligibles au sein d’un législatif et d’un exécutif, tant au niveau communal que cantonal»
Coline Steullet-Scherrer, responsable des droits politiques à la Chancellerie d'Etat du Jura.
Comprenez: il est possible de siéger à l'exécutif et au législatif au niveau communal, cantonal et fédéral sous les trois autres formes de curatelles (cumulables selon les cas):
- La curatelle d’accompagnement (décrite en début d'article). Comme mentionné, watson a connaissance d'un cas en Suisse romande qui confirme que ce scénario est possible.
- La curatelle de représentation et de gestion du patrimoine: la première est instituée si la personne protégée ne peut pas accomplir certains actes elle-même et a besoin d’être représentée. La seconde permet, notamment, de veiller à la gestion du patrimoine. Selon les besoins, la gestion peut porter sur une partie ou la totalité des revenus et/ou de la fortune.
- La curatelle de coopération: certains actes de la personne doivent être soumis au consentement du curateur.
L'exception genevoise
Genève fait toutefois figure d'exception. Ainsi, une personne a le droit de siéger à l'exécutif ou au législatif au niveau communal et cantonal peu importe le type de curatelle instituée – soit également si elle est placée sous curatelle de portée générale, car rien ne l'interdit dans la législation, atteste la Chancellerie d'Etat.
«La curatelle de portée générale est instituée lorsqu'une personne a particulièrement besoin d'aide, en raison notamment d'une incapacité durable de discernement.»
Le droit de savoir?
«Ce que vous me racontez là ne me rassure pas», réagit Olivier Meuwly, politologue, en prenant connaissance de ces informations. Selon lui, nous devrions dissocier droit de vote et d'éligibilité, car le second «pose des questions et est hautement discutable»:
«Il y a un manque de cohérence et une grande permissivité: d'un côté, il y a des attentes de plus en plus grandes, voire démesurées parfois, envers les élus. De l'autre, des personnes que l'on estime devoir être mises sous contrôle légal peuvent être éligibles.»
Olivier Meuwly, politologue.
En revanche, pour Philipp Schüepp, responsable de la communication politique au sein de l'association Pro Infirmis, qui accompagne et soutient les personnes en situation de handicap (réd: une personne sous curatelle n'a pas forcément de handicap et vice-versa):
«Tout le monde a le droit de bénéficier de ses droits politiques, peu importe le type de curatelle instituée»
Philipp Schüepp, responsable de la communication politique chez Pro Infirmis.
Et de rappeler qu'en Suisse, il faut faire campagne, convaincre et être élu par le peuple:
«Chacun doit évaluer s'il est capable de siéger à l'exécutif ou au législatif. Il y a beaucoup d'étapes avant d'arriver jusque-là. Si la personne y arrive, c'est qu'elle a fait du bon travail.»
Une question se pose: avant une élection, le peuple devrait-il être au courant qu'un candidat est placé sous curatelle? «Je ne trouve pas que lors d'une candidature, il devrait y avoir un signe qui précise cette information», pense Philipp Schüepp. De son côté, Olivier Meuwly estime au contraire «qu'il est faux de penser qu'en politique, vie privée et vie publique sont deux mondes qui peuvent être séparés». Et d'ajouter:
«Il est important de savoir pour qui l'on vote. Il n'y a pas de démocratie ni de confiance sans transparence»
Olivier Meuwly, politologue.
Discussion au Parlement
A l'automne 2024, une motion a été déposée au Conseil national par Marc Jost (Le Centre) et Delphine Klopfenstein Broggini (Les Verts). Elle demande une modification de la Constitution afin que «les droits politiques en matière fédérale soient ouverts à tous les citoyens suisses âgés de 18 ans révolus».
«Aujourd'hui, le problème est que ces droits fondamentaux sont retirés à certaines personnes, notamment celles qui, en raison d’une incapacité durable de discernement, sont protégées par une curatelle de portée générale. Nous souhaitons biffer cette disposition car elle représente une discrimination.»
Delphine Klopfenstein Broggini, conseillère nationale (Les Verts).
La motion sera discutée au Conseil national le 17 mars prochain.
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source: watson
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