«N’approchez pas, c’est dangereux, j’utilise un laser.» Lunettes de soudeuse sur le nez, opérant derrière une bâche, une femme s’attaque à une toute petite partie des dégradations perpétrées sur la façade sud de la collégiale de Neuchâtel, visible depuis le lac. Elle travaille au sein de l’Atelier Muttner.
Le week-end dernier, plusieurs lieux emblématiques de Neuchâtel ont été souillés par des tags et des atteintes au patrimoine. Les autorités paraissent accuser le coup.
Présent sur la place de la collégiale, Michel Muttner, le directeur de l'atelier qui porte son nom, explique à watson le processus de nettoyage qui vient à peine de commencer:
Cette entreprise établie dans le canton de Neuchâtel est spécialisée dans la conservation et la restauration du patrimoine bâti. «On a fait partie de l’équipe qui a nettoyé la collégiale entre 2013 et 2017», rapporte son directeur.
Ce mercredi matin, six jours après les faits, la collégiale, joyau du patrimoine neuchâtelois, avec à sa proue la statue de son «saint patron», le réformateur Guillaume Farel, attire touristes et visiteurs. Qui découvrent l’«œuvre» des malfrats, une première sur ce monument religieux du XIIe siècle, dont les seules atteintes jusqu’ici avaient été semble-t-il celles du temps.
A coups de «EAT THE POPE» (mangez le pape), «YALLAH INTIFADA» (en avant l’intifada), «NO TAV» (non à la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin), «SATAN WAS HERE» (Satan était ici) et d’un énigmatique «ARMIN LASCHET WIRD KANZLER» (Armin Laschet sera chancelier d’Allemagne – cet ancien ministre d’Angela Merkel avait minimisé l’impact du réchauffement climatique), les auteurs des tags se sont acharnés sur cette pierre jaune d’Hauterive, le matériau noble dont sont faits les plus beaux édifices du chef-lieu cantonal.
A moins d'avoir affaire à un «false flag», un acte commis sous un faux drapeau idéologique pour tromper l'opinion publique, tout semble désigner l’extrême gauche, tendance anarcho-libertaire. Une enquête policière a été ouverte afin de retrouver les auteurs de ces déprédations commises sur les murs de la collégiale, ainsi qu’ailleurs dans Neuchâtel – une évocation en bronze de David de Pury a été arrachée de son socle dans le bas de la ville et des bornes de recharge Tesla ont été sprayées à Marin-Epagnier.
«C’est révoltant», réagit Lukas, un jeune Lausannois de passage avec une amie à Neuchâtel. Il n’avait encore jamais vu la collégiale. «Quel est le but derrière un tel acte? C’est de la provocation», dit-il.
«C’est triste, je suis choquée. Comment est-ce qu’on peut faire ça?», se demande une femme d’une cinquantaine d’années accompagnée de sa mère. Elles arrivent du canton de Fribourg. Elle aussi voient pour la première fois la collégiale. De même que ces touristes à vélo venant de Chambéry – «des tags sur un bâtiment religieux, symboliquement c’est très fort» – ou ce couple de Bretons gravissant la pente pavée menant à la collégiale et au «Château», siège du Conseil d’Etat, qui tombera bientôt nez à nez avec les tags.
En visite dans le vieux Neuchâtel en compagnie d’un guide local, ce couple de retraités de Winthertour n’est qu’à moitié étonné. «Chez nous aussi, on a ce genre d’écrits sur des églises ou des hôtels de ville, et c’est dommage», déplore la femme.
Son mari sort son téléphone portable de sa poche et montre la photo d'un mur dédié aux graffitis, situé dans les environs de Winthertour. Elle et lui ne mesurent visiblement pas la nature politique des tags inscrits sur la collégiale.
Dans la descente, on passe devant le QG suisse de Médecins de monde, muni d’une banderole «Gaza, urgence sanitaire». Prenant une pause à l’extérieur, un jeune collaborateur de l’ONG dénonce ces dégradations, qui connaissent des répliques «Free Palestine» réalisées au pochoir en d'autres endroits de la ville.
Il ajoute: «C’est fait pour choquer, et puis, de toute façon, dégrader le bien public, ça ne se fait pas.»
Nous rencontrons la présidente de la ville de Neuchâtel, l’écologiste Nicole Baur, au pied de la statue de David de Pury, sur la place du même nom, au moment où elle s’apprête à prendre congé d’une équipe de la RTS. Longtemps révéré, le bienfaiteur du chef-lieu est devenu une figure historique gênante depuis qu’on lui a trouvé un passé colonial, en 2021, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, surgi à la suite de la mort de George Floyd aux Etats-Unis.
La présidente de l’exécutif communal revient sur les faits:
Pour Nicole Baur, qui vient de reprendre ses activités après son retour de vacances, ces tags et déprédations, qui ont également visé le musée d’ethnographie, forment «un gloubi-boulga difficilement déchiffrable».
Dans un article paru lundi sur le site du Temps, la présidente de la Ville de Neuchâtel affirmait que «la généralisation de la vidéosurveillance n’est pas la solution, [que] ce n’est pas notre politique». A watson, elle précise:
Au législatif de la Ville, le socialiste Loïc Muhlemann dirige la commission du Conseil général chargée, entre autres, de la sécurité. Il s'exprime ci-après à titre personnel: «Moi aussi, je suis antifasciste, mais il ne me viendrait jamais à l’idée de commettre de tels actes, qui sont éminemment condamnables. Ceci dit sans vouloir tirer de conclusions hâtives sur le profil politique ou les motivations des auteurs de ces tags.»
Loïc Muhlemann émet une piste possible:
Ce mercredi matin, une employée de l’Atelier Muttner effaçait patiemment ce qui ressemble à une «croix sataniste», peinte en vert sur l’une des portes en bois de la collégiale. Un travail de pro. Comme celui, manifestement, des malfaiteurs, auteurs d'un véritable raid en plusieurs lieux du chef-lieu neuchâtelois.