En septembre, l'UDC vaudois Jean-Pierre Grin quittait les rangs de l'Assemblée fédérale au vénérable âge de 76 ans. Si on pouvait penser que l'agriculteur et ses quatre mandats s'en allaient pour faire la place à des jeunes membres du parti, il n'en est rien: le nouveau doyen est Charles Poncet, 76 ans et UDC également, avocat genevois bien connu dans la Cité de Calvin pour son franc-parler et son style très rentre-dedans.
Le ténor du barreau genevois a notamment fait des étincelles durant l'«affaire Kadhafi», en 2007. Hannibal Kadhafi, fils du despote libyen, avait maltraité le personnel d'un hôtel au point de se faire embarquer par la police. Dans l'évolution de l'affaire, Charles Poncet a défendu le gouvernement libyen, qui avait attaqué pour diffamation la Tribune de Genève.
Charles Poncet nous répond depuis sa voiture. Parti de Genève, il va rejoindre sa compagne à Milan, où il a ses habitudes, notamment au théâtre de la Scala. «Profitons d'être en Suisse pour pouvoir discuter, après ce seront les tunnels», dit-il. Nous évoquons son retour au Conseil national. Car le Genevois y avait déjà siégé pour un mandat, entre 1991 et 1995, alors sous l'étiquette du Parti libéral.
«J'avais arrêté de faire de la politique active depuis l'an 2000, même si je continuais à être actif via mes prises de position», explique volontiers le premier intéressé, qui n'a d'ailleurs jamais été encarté au PLR, appréciant peu la fusion des libéraux et des radicaux. Ce qui l'a fait revenir en politique? C'est simple: on est venu le chercher. «L'UDC genevoise et sa présidente (réd: Céline Amaudruz) m'ont fait le compliment de me dire que je pouvais apporter une contribution à leur campagne», précise-t-il.
«C'est une valeur ajoutée immense pour l'UDC, ils ont beaucoup de chance de l'avoir», estime le désormais ex-conseiller national Christian Lüscher (PLR/GE), qui a officié dans la même étude d'avocats et plaidé avec son mentor à de maintes occasions. Il n'hésite pas à parler de «père spirituel». Le profil de Charles Poncet s'est toutefois bien décalé sur sa droite, estime celui qui vient de quitter le National.
«Je suis tout à fait à l'aise dans ce parti qui a une ligne cohérente, notamment sur la sécurité et la défense, notre relation avec Bruxelles et contre l'immigration de masse — nous dénaturons notre pays à force de le remplir avec des gens qui viennent d'ailleurs», explique Charles Poncet, pour qui les controverses autour de certaines positions du parti sont parfaitement étrangères:
Sous quel signe sera axé son action à Berne? «Je suis très law & order. Je vais à Berne pour protéger la police et lutter en faveur des peines incompressibles, notamment pour les crimes violents dont les femmes sont victimes.» Se considère-t-il donc comme féministe? Pas question pour l'homme de jouer à ce jeu-là:
Et il y a une autre étiquette que le Genevois refuse qu'on lui accole, c'est celle d'un provocateur. Alain Jeannet, ancien rédacteur en chef du média l'Hebdo, dans lequel Charles Poncet livrait régulièrement ses chroniques qui versaient parfois dans la controverse, lance:
«Ce n'est pas vrai!», s'exclame Charles Poncet dans son véhicule, quelque part entre Lausanne et Vevey. «En tant qu'avocat, il était logique que je défende férocement les gens qui m'ont engagé, y compris le gouvernement de Kadhafi. Et au Parlement, dans les années 1990, mes prises de position étaient modérées. Je n'y ai jamais fait d'envolées lyriques.» Avant de lâcher un certain:
Il faut dire que le politiquement correct semble lui couler dessus comme sur les plumes d'un canard du Léman. Ne parlons pas de progressisme sauce années 2020, qu'il dézingue à l'envi depuis un peu plus d'une année pour sa chronique régulière sur la chaîne Léman Bleu, Poncet en liberté.
Le ténor du barreau genevois, dans un impeccable costume et gros nœud de cravate, y livre ses analyses critiques sur la société d'aujourd'hui — qui ne seraient pas forcément du goût des militants d'Opération Libéro ou des Jeunes socialistes. Il y a quelques mois, la controverse rattrapait Léman Bleu, qui faisait intervenir l'élue verte transgenre Lynn Bertholet dans sa chronique, dans un droit de réponse à des propos tenus par maître Poncet lors d'une chronique précédente. Le tribun revient sur les dispositions que permet le droit suisse sur les personnes transgenres:
Comment va se tenir l'orateur dans les travées du Conseil national sur les thématiques de société libérale? Car l'avocat n'est-il pas justement passé du parti libéral à l'UDC? «Cela n'a rien à voir. L'UDC et le PLR n'ont pas la même position sur les questions sociétales. Mais le sociétal, cela n'a aucune importance dans le fonctionnement de l'Etat».
Si débats il doit y avoir, on peut l’attendre au tournant. «C'est un rhéteur redoutable», commente Alain Jeannet. Christian Lüscher complète:
«L'Hebdo lui avait offert cette chronique qui était une lettre ouverte. Il était très rentre-dedans et on a parfois eu des plaintes», détaille son ancien rédacteur en chef. «Mais il avait du style, il était toujours très drôle et il prenait, d’ailleurs, régulièrement la défense de la veuve et de l’orphelin. Il n’a jamais épargné les gens en position de pouvoir». Pour ce média progressiste et ouvertement pro-européen, «cette chronique contribuait à la diversité des opinions».
Une personnalité enflammée qui se conjugue avec le calme d'une des passions du Genevois: le yoga. Charles Poncet a fait une vingtaine de camps d'été — en Inde notamment, mais aussi en Autriche — pour se perfectionner à cet art du corps et de l'esprit. «Je n'en ai plus beaucoup fait depuis le Covid, je dois m'y remettre», dit-il. Il se murmure même que l’homme parlerait quelque peu le sanskrit.
Celui qui tenait sa chronique dans L'Hebdo et a livré ses positions sur Léman Bleu le dit, alors que son véhicule passe le Chablais: «Je suis un partisan de la liberté intégrale de la presse». Et dans la foulée, lâche aussitôt: «Mais il faut être lucide: les journalistes sont devenus soit des recopieurs de dépêches, soit des gens partisans».
Et quand on lui fait remarquer qu'il s'adresse à un journaliste: «Oui, mais vous, c'est la presse écrite et privée, ça n'a rien à voir, vous n'avez pas les obligations du service public.»
L'avocat est-il sur le point de tenir le rôle du polémiste ou tonton réactionnaire sur Forum ou Infrarouge ces prochaines années? «Peut-être que son entrée en politique est une manière de revenir dans le débat public», commente Alain Jeannet. Mais le premier intéressé, qui était pourtant un habitué des ondes du service public dans les années 1990 et 2000, dément et affirme même:
Dans le même temps, alors qu'il se lance sur la question du «wokisme», nous évoquons la chute des écologistes aux élections fédérales: qu'a-t-il notamment retenu de ses années de Parlement, notamment lorsque les Verts étaient beaucoup moins fort? La réponse fuse:
«Ces quatre dernières années, on s'est bien rendu compte que les Verts amènent les gens dans l'impasse», continue le tribun. «Les socialistes, c'est différent. Ce sont des gens sérieux qui s'y tiennent quand ils font des compromis.»
L'appel va prendre fin. Les tunnels valaisans se succèdent et l'homme va bientôt passer celui du Grand Saint-Bernard, en direction de l'Italie. On n'a certainement pas fini d'entendre parler de Charles Poncet à Berne.