C'est un terme qu'on entend très souvent en Suisse: «le fossé ville-campagne». Ce gouffre présumé entre les zones rurales et urbaines est notamment évoqué au lendemain de chaque votation populaire: les initiatives contre les pesticides et l'élevage intensif, rejetées par le peuple en 2021 et 2022, en sont les exemples les plus récents.
Cet écart n'est pour autant pas qu'un serpent de mer de la politique suisse. Le fossé ville-campagne existe bel et bien, et il peut être mesuré. C'est ce qui ressort d'un rapport mandaté par la société coopérative agricole Fenaco à l'institut de recherche Sotomo, publié ce jeudi.
Cet écart est tout d'abord présent dans l'esprit des gens. Deux tiers des personnes interrogées indiquent ressentir qu’un large fossé s’est creusé entre ville et campagne, peut-on lire dans l'étude. Il s'agit d'un pourcentage en hausse par rapport à la dernière étude sur le sujet.
Les chiffres tendent à confirmer ce sentiment. Pour mesurer les tensions entre ville et campagne, les auteurs du rapport se focalisent sur les résultats des votations populaires et la manière dont ceux-ci divergent. Deux conclusions majeures en ressortent:
Les espaces urbains se divisent en trois catégories: les agglomérations, les petites villes et les villes de grande taille, qui comptent plus de 50 000 habitants. C'est entre ces dernières et les campagnes que l'écart mesuré est le plus grand.
Concrètement, à partir de 2020, le pourcentage des «oui» exprimés lors des votations populaires est 16,8% plus élevé dans les grandes villes que dans les régions rurales. A titre de comparaison, ces valeurs s'élèvent à 4,5 et 6,7% dans les agglomérations et les petites villes.
Et cet écart se creuse. La différence dans la part des «oui» entre les grandes villes et les campagnes, qui se monte actuellement à 16,8%, ne se situait qu'à 11,9% entre 1990 et 2009. «Cet antagonisme s’est fortement accentué depuis le début des années 2010», résument les auteurs de l'étude.
La différence de comportement aux urnes était «significative» en particulier en 2020 et en 2021, alors que l'an passé, cet écart s’est légèrement estompé. Toutefois, notent les auteurs de l'étude, «ce ne sont pas tant les votations ordinaires qui témoignent le plus vivement des émotions et font naître des conflits, que celles qui divisent le plus l’opinion». Et, ces dernières années, les scrutins sensibles n'ont pas manqué.
Cinq des dix votations où l’écart enregistré entre ville et campagne est le plus important depuis 1981 ont en effet eu lieu ces trois dernières années. Trois d'entre elles concernaient directement l'agriculture. La plus nette opposition s’est par ailleurs dessinée en 2022. Lors de l’initiative sur l’élevage intensif, la part de «oui» exprimée a été 30,9% plus élevée dans les villes que dans les régions rurales.
Les dix votations les plus «clivantes» des 40 dernières années sont les suivantes:
Il est dernièrement intéressant de se demander qui a le dernier mot. Il ressort du rapport que, lors des votations, les grandes villes sont souvent mises en minorité.
Sur 14 des 33 votations de cette législature, les villes de grande taille ont été mises en minorité par la majorité de la population suisse. Cela n'est arrivé que deux fois aux régions rurales: lors de la loi sur la chasse en septembre 2020 et lors de l’initiative «Protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac» en février 2022.