Donald Trump n'a pas flanché. Malgré ses tentatives, la Suisse n'a pas réussi à faire baisser les droits de douane américains de 39% qui s'appliquent à notre pays depuis le 7 août.
De son côté, Claudia Sheinbaum, la présidente du Mexique, a fait mieux: elle a réussi un coup diplomatique en obtenant un sursis de 90 jours, un cas unique au monde. Et le tout alors que le déficit commercial des Etats-Unis avec le Mexique est bien plus important qu’avec la Suisse. Mais comment a-t-elle fait?
Premier atout: sa personnalité, qui plaît au président américain. Après son entretien avec Karin Keller-Sutter, Trump l’avait qualifiée de «gentille» mais avait affirmé qu'elle n'écoutait pas, et que, de toute façon, il ne la connaissait pas. Par contre, le président américain trouve Claudia Sheinbaum «formidable» et a même déclaré publiquement qu’il avait «beaucoup de respect» pour elle. Un contraste surprenant, car, sur le papier, cette climatologue de gauche plutôt introvertie n’a rien en commun avec le républicain.
Pour sa prochaine tentative de contrer les droits de douane de Trump, Karin Keller-Sutter aurait peut-être intérêt à s’inspirer de la présidente mexicaine. Celle-ci applique cinq tactiques particulières dans ses échanges avec Trump, et elles semblent porter leurs fruits.
Trump ne sépare pas les dossiers politiques: pour lui, le commerce est indissociable de l'immigration, de la lutte contre la drogue et des questions de sécurité. Claudia Sheinbaum l’a compris et a offert des concessions substantielles sur des thèmes chers à Trump, comme la lutte contre le trafic de fentanyl et le renforcement des frontières.
Pour rendre le président américain plus conciliant, elle a envoyé 10 000 soldats à la frontière nord, a fait extrader des membres présumés d'un cartel de drogue et a présenté tout cela comme une initiative mexicaine. Vous l'aurez compris: celui qui ne parle que d'économie avec Trump négocie à mi-voix. Mais celui qui lui fait des concessions sur ses thèmes politiques préférés gagne en influence.
Claudia Sheinbaum n'a jamais rencontré Trump dans le Bureau ovale. Au lieu de cela, elle lui parle régulièrement au téléphone, loin des caméras et des clashs spontanés. Elle évite ainsi les humiliations publiques que d’autres, comme le président ukrainien Volodymyr Zelensky, ont subies à Washington.
En utilisant des canaux que l'on contrôle soi-même et dont Trump ne peut pas abuser pour se donner en spectacle, on peut éviter beaucoup de gros titres négatifs inutiles dans les négociations avec lui.
En Suisse, on n'a longtemps pas pris Trump au sérieux, pensant qu'il n'allait pas appliquer ses menaces tarifaires pour les droits de douane. Lors d'une interview téléphonique, Trump a affirmé que Keller-Sutter ne l'écoutait pas. «Je l'ai bel et bien écouté», a-t-elle contredit après son voyage aux Etats-Unis cette semaine.
Seulement, cette affirmation n’est pas remontée jusqu'à Trump. Or, le président aime les superlatifs et les succès rapides. Claudia Sheinbaum joue de cela en reprenant ses propres déclarations et en lui présentant ensuite des résultats tangibles. Elle a montré, à l'aide de statistiques des Etats-Unis, que les découvertes de fentanyl à la frontière avaient diminué. Elle oblige donc Trump à poursuivre le récit de sa propre réussite, et à présenter le Mexique comme en faisant partie.
Même lorsque Trump a rebaptisé le golfe du Mexique «golfe d'Amérique», Claudia Sheinbaum a gardé le silence, bien que cela ait provoqué un véritable tollé au Mexique.
La présidente ne réagit pas de manière impulsive et évite ainsi que des sujets de second plan ne déterminent son agenda politique. Mais en coulisses, elle prépare toujours des alternatives en cas d'escalade de la part de Trump. Elle laisse passer les provocations occasionnelles, mais est toujours prête à intervenir si le ton monte.
Claudia Scheinbaum sait qu'avec Trump, rien n'a plus d'impact qu'un compliment bien placé. Lors de ses appels téléphoniques, elle fait l'éloge de son «leadership», évite toute critique et lui fait sentir que c’est lui qui décide, ce qui lui a valu l'image de «celle qui murmure à l’oreille de Trump».
Cela peut paraître exagéré, mais, en attendant, ça lui a servi. Dans le monde de Trump, les sentiments comptent souvent plus que les faits. En renforçant son ego, on gagne du temps et de l'espace précieux pour défendre ses propres objectifs.
Mais les flatteries seules n'auraient pas pu empêcher les droits de douane suisses de 39%. Et Claudia Sheinbaum, aussi tactique soit-elle, n'a obtenu qu'un report des droits de douane. Reste à savoir ce qu'il en restera dans 90 jours. Mais en quelques mois, elle a montré qu’il était possible de négocier avec Trump sans s’humilier publiquement, une approche qui lui vaut aussi un soutien au Mexique, où Trump est encore plus mal vu qu’en Suisse.
Traduit de l'allemand par Anne Castella