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Il a étudié le sexe en prison en Suisse, il raconte

Aufseher Alexander Schleich spielt eine Szene nach, an einem Medientermin ueber den Modellversuch der U-Haft im Ausbildungszentrum Meilen, aufgenommen am Dienstag, 25. Juni 2024 in Meilen. Die Kantone ...
Image: KEYSTONE

Il a étudié le sexe en prison en Suisse, il raconte

Le cinéma et les séries véhiculent une image stéréotypée de la sexualité en prison. Plusieurs pratiques existent, mais la réalité est souvent plus nuancée, explique un chercheur qui a étudié deux établissements en Suisse romande.
15.06.2025, 07:0415.06.2025, 07:46
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Le sujet est encore peu connu du public, et ses implications sur les personnes concernées le sont encore moins. Pourtant, les questions liées à la sexualité en prison et à son accès impactent fortement la vie des détenus et des détenues.

Chercheur en sciences sociales à l’Université de Genève, Jean-Sébastien Blanc a interrogé plusieurs personnes détenues dans deux prisons en Suisse romande, une pour hommes et une pour femmes. Ces entretiens se sont déroulés dans le cadre d'une thèse de doctorat qu'il a soutenue le mois dernier. Interview.

Le sujet de la sexualité en prison a-t-il été thématisé par les autorités suisses?
Jean-Sébastien Blanc: Pas vraiment. Le monde pénitentiaire est confronté à de nombreuses problématiques, qui ont tendance à reléguer la question de la sexualité au deuxième plan.

«Ce n'est pas une priorité pour les autorités, on peut même dire que c'est un sujet tabou»

A une exception près: du matériel informatif sur la santé sexuelle et des préservatifs sont distribués dans les prisons, qui ont l'obligation légale de le faire. C'est une porte d'entrée, mais ça reste marginal, surtout au vu de l'importance de la thématique.

Cette dernière suscite de nombreux fantasmes...
On projette effectivement beaucoup de fantasmes sur la prison, notamment sous l'influence du cinéma et des séries. Des images de violence extrême d'un côté, de privation absolue de l'autre. Je pense que la réalité est plus nuancée.

Qu'est-ce que vous avez pu observer?
La grande majorité, voire la totalité des personnes détenues avec qui j'ai parlé, dit souffrir de cette privation. Satisfaire ses besoins sexuels est difficile en prison, mais une autre dimension ressortait de manière encore plus nette: le manque d'intimité. Le fait de ne pas pouvoir partager des moments intimes ou de tendresse avec ses proches, sans être constamment pressés par le temps ou sous vidéo-surveillance.

En Suisse, il existe des dispositifs permettant un accès à la sexualité en prison. De quoi s'agit-il?
Il y a ce qu'on appelle des «parloirs intimes». Il s'agit de petits studios aménagés dans la prison, où le lit occupe la place centrale.

«Contrairement à la plupart des autres espaces carcéraux, ils ne sont pas soumis à la vidéo-surveillance»

Leur vocation première est de permettre aux personnes détenues d'avoir des relations intimes, qui peuvent être sexuelles ou affectives, avec leur compagne ou leur compagnon qui vient de l'extérieur.

Ces parloirs sont-ils répandus?
Non, au contraire. Seul un établissement sur dix dispose d'un tel espace en Suisse. Leur accès est donc réservé à une minorité de détenus. Les détenues sont particulièrement discriminées, car aucune structure pour femmes n'est dotée, en Suisse romande, d'un parloir intime. Il s'agit d'ailleurs d'une revendication que j'ai souvent entendue dans mes échanges avec des femmes détenues. Il faut savoir que ces dernières ne représentent qu'environ 6% de la population carcérale.

Quelles sont les conditions d'accès?
Les conditions d'accès sont très strictes. Les détenus qui en bénéficient doivent notamment être dans une relation stable, ce qui n'est pas toujours facile à prouver. Parfois, une enquête est menée pour s'assurer que c'est bien le cas.

«On peut donc dire que la prison joue un rôle de régulateur de la sexualité. La vision morale et moralisatrice n'est jamais loin»

Trouve-t-on ces dispositifs dans d'autres pays?
Oui, mais les pratiques changent d'un endroit à l'autre. En Amérique latine et dans l'ex-Union soviétique, par exemple, leur usage est presque généralisé. La Suisse se situe dans la moyenne européenne. Les différences de terminologie sont intéressantes: en France, ces espaces s'appellent «unités de vie familiale», tandis qu'en Belgique, on parle de «visites hors surveillance». C'est beaucoup plus indirect, même si la finalité peut être la même.

Faudrait-il élargir leur usage en Suisse?
Mon avis sur la question est nuancé. Le fait que seule une partie de détenus peuvent y avoir accès et que les femmes en soient exclues est problématique. Pourtant, ces dispositifs peuvent également susciter des craintes. Leur vocation est très claire, ce qui risque de générer une injonction à la sexualité, qui se déroule de plus dans un cadre strict et dans un temps imparti.

«Cela peut être difficile à gérer, y compris pour les personnes qui viennent voir leurs proches en prison»

Quelle serait la meilleure solution?
Avant que les parloirs intimes ne deviennent la seule option existante, d'autres pistes ont été testées. En Suisse alémanique, des projets permettaient aux personnes détenues, dans les années 70, de retrouver leur compagne ou leur compagnon à l'extérieur. Je trouve dommage que ces initiatives aient été abandonnées. Personnellement, je suis en faveur de solutions qui amènent la normalité dans un mouvement vers l'extérieur, et pas vers l'intérieur. On peut également citer les congés pénitentiaires, mais leur pratique reste limitée.

Qu'en est-il des relations sexuelles entre détenus et membres du personnel?
Ces relations sont interdites par la loi, mais elles existent et peuvent se produire. Pourtant, ça reste marginal. Une fois de plus, c'est plus fantasmé que réel. Ce qui est intéressant, c'est que la perception change en fonction du genre des personnes impliquées.

«On aura tendance à romantiser une relation entre une surveillante et un détenu homme, et à lire le scénario inverse sous le prisme des violences sexuelles»

La perception de la sexualité des détenus et des détenues est-elle également différente?
Oui, on retrouve des stéréotypes très ancrés dans les discours du personnel pénitentiaire. La sexualité des hommes est toujours perçue comme pulsionnelle, animale. C'est un besoin qu'il faut satisfaire. Cela peut également expliquer pourquoi il n'y a pas de parloirs intimes chez les femmes. Pour ces dernières, la sexualité est plutôt considérée comme secondaire et liée aux besoins affectifs.

Des rapports sexuels entre détenus peuvent-ils se produire?
Puisque la prison est un lieu de non-mixité, on va parler de pratiques homosexuelles. Elles existent, mais, une fois de plus, ce sujet suscite de nombreux fantasmes, y compris chez le personnel pénitentiaire. Il y a certainement plus de discours que de constats pratiques.

Existe-t-il des différences entre hommes et femmes à ce niveau?
Oui. Dans les structures pour femmes, il y a une plus grande tolérance vis-à-vis de l'homosexualité. Suivant l'établissement, il est possible d'aménager des cellules pour les couples, qui peuvent s'afficher ouvertement. Dans les prisons pour hommes, c'est beaucoup plus compliqué.

Pourquoi?
C'est lié à la manière dont la masculinité se construit en prison. Dans cet espace non mixte, il est plus difficile de prouver qu'on est hétérosexuel. L'homosexualité vient éroder les canons de la masculinité et fait peser un soupçon sur tous les détenus. Pour l'écarter, ces derniers vont davantage incarner une masculinité viriliste.

«Il y a des hommes gays en prison, j'en ai rencontré, mais ils ont tendance à cacher leur homosexualité pour se protéger»

Cela dit, je ne veux pas présenter les prisons pour femmes comme une oasis de l'homosexualité. Les femmes ouvertement homosexuelles peuvent aussi souffrir de brimades ou d'injures de la part des codétenues, mais c'est tout de même beaucoup moins difficile d'être ouvertement lesbienne qu'ouvertement gay en prison.

Quelle est la situation concernant la masturbation?
Les pratiques masturbatoires font face à plusieurs écueils. Tour d'abord, en Suisse, beaucoup de personnes partagent la même cellule. Dans ces conditions, garantir ce minimum d'intimité dont je parlais plus haut est très difficile. De plus, le matériel pornographique n'est pas toujours disponible et, quand il l'est, il fait l'objet d'une censure.

Dans quel sens?
Les établissements qui l'autorisent le vérifient avant de le remettre aux personnes détenues. Concrètement, on veut s'assurer que ce matériel ne contient pas d'informations sensibles, pouvant par exemple faciliter une évasion, ou des contenus problématiques ou illégaux. Cela met les agents de détention dans des conditions inconfortables et parfois cocasses, car certains d'entre eux doivent visionner du porno sur leur temps de travail.

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