Christelle et ses parents soupaient dimanche soir chez des amis lorsqu’un orage a éclaté. «Nous sommes tout de suite rentrés chez nous», raconte la jeune femme. Ce «chez nous», c’est la maison bleue située en bordure de forêt, sur les hauts de Cressier, la première touchée mardi 22 juin par le rouleau de boue et de pierres.
Le ciel tonnait fort, l’eau tombait à verse, mais Christelle et ses parents, dimanche soir, sont tout de même rentrés chez eux pour protéger leur maison, durement atteinte, mais encore debout, contre ce nouvel assaut.
Ce lundi matin, six jours après la catastrophe, Christelle, 22 ans, en débardeur noir, est seule à la maison. Enfin, pas tout à fait seule. Des soldats du bataillon du génie 6, d’ordinaire basé en Argovie, parlant suisse-allemand, s’affairent à la construction d’un pont sur le Ruhaut, ce filet d’eau changé en torrent monstrueux le lendemain du solstice d’été.
«La pierre n’a jamais été aussi propre», note Christelle, comme on dirait d’une tombe lavée par la pluie drue. Deux petits ponts traversaient le Ruhaut à cet endroit. Ils n’ont pas résisté au tsunami forestier. La passerelle en bois installée par les militaires permettra de rejoindre le potager familial, en face de la maison. Les plants de tomates commencent à se redresser.
Etant donné les circonstances, Christelle, qui travaille comme employée de commerce, a pris congé. Elle ne souhaite pas être photographiée. «On n’a déjà plus beaucoup d’intimité.» Elle et ses parents dorment tous les soirs dans la maison éventrée, colmatée d'une plaque d'aggloméré. Ils passent la nuit à l’étage, avec leurs trois chats. «C’est mon père qui a construit cette maison il y a vingt ans, on ne partira pas.» La jeune femme apprécie le travail des soldats. Leur présence, depuis leur arrivée, samedi, la rassure. Elle aurait aimé qu’ils viennent plus tôt. Météo Suisse a lancé des alertes orageuses pour lundi soir. «Je sais», dit-elle.
L’exécutif de Cressier sent monter la pression sur lui. Comme toujours après un tel drame, on cherche des responsables. Vice-président du conseil communal, chef des finances, Michel Froidevaux répond aux questions de watson dans la cour du château, siège de l’administration communale.
«En 2014, la Confédération nous a soumis un projet d’étude des risques, avec participation financière communale, explique l’élu cressiacois. La part de Cressier était fixée à 1,7 million de francs. Soit 1,4 fois nos capacités annuelles d’investissement. Nous avons souhaité d’abord la réalisation d’une préétude et nous avons voté pour cela un crédit de 15 000 francs. Il a ensuite été question d’un crédit d’étude supplémentaire de 60 000 francs, que nous avons décidé de retirer, au profit d’une demande d’étude d’hydrologie. D’un coût de 15 000 francs également, à la charge de Cressier, cette demande date de 2015. Elle est toujours pendante et soumise au processus démocratique de la commune.»
Sauf que cette évaluation hydrologique, en suspens depuis six ans, est destinée au site de Mortruz, du nom d’un autre ruisseau, coulant à l’Ouest de Cressier, également à l’origine de dégâts mardi 22 juin, mais de bien moindres ampleurs.
Michel Froidevaux insiste, peut-être conscient du procès, à tout point de vue, qui pourrait être intenté à l’exécutif: «Lorsqu’elle a été interpellée sur ce genre de risques, la commune a toujours été d’accord d’entrer en matière. Mais nous nous rendons bien compte d’une chose, et nous en avons discuté avec le Conseil d’Etat neuchâtelois après la catastrophe du 22, c’est qu’aucune mesure préalable n’aurait été capable de s’opposer ce soir-là à la furie des éléments.» L’élu aux finances en profite pour saluer l’abnégation des soldats actuellement à l’œuvre. «Nous avons une immense reconnaissance pour les deux cents militaires déployés.»
Ce qu'ils réalisent depuis samedi, se relayant sans relâche, est impressionnant. Il faut monter cent mètres dans la forêt gorgée d'humidité pour découvrir le travail déjà accompli. Trois tractopelles dégagent les tonnes de gravats qui se sont accumulés au pied d'une falaise d'où tombe le Ruhaut et dont le calcaire a des allures de roches de Carrare. Sur cette espèce de plateau précédant la chute dans Cressier, ces engins de chantier ont creusé une piscine en forme de losange, dûment et proprement empierrée sur les bords, dont la fonction est de retenir notamment les pierres en cas de nouvelles crues.
La présence des militaires du bataillon du génie 6, dont l'engagement sur le terrain à Cressier coïncide avec leur cours de répétition, devrait prendre fin mercredi. Sûrement seraient-ils relevés par d'autres si la poursuite des travaux s'avérait nécessaire. Ce dont personne ne doute dans le village.