Gérard Depardieu n’y est pour sûrement pour rien, mais c’est peu après la déprogrammation du comédien français des écrans de la RTS qu’a été annoncé le départ de Gilles Marchand. La SSR va changer de patron, a-t-on appris le 18 janvier dans un communiqué du conseil d’administration de l’audiovisuel public. L’actuel directeur général de la SSR, à ce poste depuis 2017, dispose de quelques mois pour passer le témoin. L’homme ou la femme qui lui succédera devra être opérationnel début 2025. Sa mission, comme le glisse un observateur avisé: «sauver la baraque», menacée par l’initiative «200 francs ça suffit», sur laquelle on votera en 2026.
L’audiovisuel public jouera à cette occasion sa survie. L’abaissement de la redevance, aujourd’hui de 335 francs, à 200 francs, le ferait éclater. Tel est le narratif façon film-catastrophe, entre autres alimenté par l’ancien directeur général de la SSR de 1996 à 2010, Armin Walpen, dimanche dans les colonnes du SonntagsBlick.
Alors, face au danger, à la guerre comme à la guerre! Pour détruire la météorite, il faut une équipe de choc. Mais qui pour la diriger? C’est là que ça se tend.
Quels critères privilégier? La langue? Le sexe? Les compétences professionnelles? La couleur politique? watson a pris la température des couloirs de l’audiovisuel et du sérail politique. Un point de consensus: le futur patron ou la future patronne devra avoir une «sensibilité alémanique».
Alémanique, donc. Et ensuite? Le choix d'un politique est privilégié. Du moins l’est-il par Armin Walpen, un centriste (ex-PDC) valaisan. Sa démonstration est on ne peut plus claire. Convaincra-t-elle? Sans donner de nom, l’ex-directeur général de la SSR pense habile de confier ce poste stratégique à un UDC, parti cosignataire de l’initiative «200 francs ça suffit». Condition: que cet UDC se rallie à la formule à 300 francs imaginée par le conseiller fédéral chargé des télécommunications, Albert Rösti, lui-même UDC et ancien partisan des 200 francs… Un UDC, donc. Ou un PLR, poursuit Armin Walpen, qui cite cette fois-ci deux noms: le président du parti Thierry Burkart et le conseiller aux Etats lucernois Damian Müller.
Le calcul est simple: avec une personnalité politique de droite à sa tête, les mécontents qui fustigent la «propagande de gauche de la SSR» s'en trouveraient peut-être rassurés. Ils seraient moins près de leurs sous qu’ils n’en auraient après l’orientation idéologique supposée de l’audiovisuel public.
D’autres noms de la politique sont sortis du chapeau. Celui de l’ancienne conseillère fédérale centriste argovienne, la très populaire Doris Leuthard, ex-cheffe du Detec, le département de tutelle de la SSR. Celui du socialiste Alain Berset, jamais passé par le Detec, mais une personnalité forte, toutefois déjà candidat au poste de secrétaire général du Conseil de l’Europe. Celui, encore, de Hans-Ueli Vogt, si l’on cherche un UDC. Candidat malheureux au Conseil fédéral face à Albert Rösti, le professeur de droit à l’Université de Zürich a obtenu un lot de consolation en étant nommé au conseil d’administration de la SSR. Il a un pied dans la place.
Justement, est-ce une si bonne idée que de nommer un politique à un poste de direction opérationnelle? «Je crains le mélange des genres», réagit ce proche du PLR. «Cela veut dire qu’on aurait un politique à la présidence du conseil d’administration de la SSR, aujourd’hui Jean-Michel Cina, en l’occurrence un centriste, et un autre politique pour remplacer Gilles Marchand?», s’étonne notre interlocuteur.
Il poursuit:
A moins que, profitant de la succession de Gilles Marchand, le monde politique n’en profite pour faire coup double en poussant vers la sortie le président du conseil d’administration de la SSR, Jean-Michel Cina. Ces derniers mois, les critiques n’ont pas épargné l’instance suprême de l’audiovisuel, égratigné pour sa mollesse et ses silences face au mécontentement d’une partie de l’opinion.
Assistera-t-on à un «switch» à la tête du conseil d’administration, un UDC, par exemple, prenant la place d’un centriste, la SSR passant pour un bastion démocrate-chrétien? Cela ouvrirait la porte de la direction opérationnelle à des professionnels de l’audiovisuel. Cette journaliste de radio préférerait que le poste de Gilles Marchand revienne à une personne du métier. «Il faudrait qu’elle soit alémanique, cela me paraît incontournable», dit-elle à son tour.
Trois femmes ont les faveurs des pronostics: l’actuelle directrice de la SRF (la version alémanique de la RTS), Nathalie Wappler, par ailleurs vice-directrice de la SSR aux côtés de Gilles Marchand. La Grisonne Ladina Heimgartner, directrice générale du groupe de presse Ringier, ex-membre de la direction générale de la SSR. Susanne Wille, enfin, cheffe du département de la culture à la SRF.
Qui l’emportera? Ou plutôt, qu’est-ce qui l’emportera? Si l’objectif est de rassurer l’électorat de droite tenté de voter les «200 francs ça suffit», la proposition d’Armin Walpen consistant à placer un élu de droite à la direction générale de la SSR a pour elle sa cohérence. Mais ne serait-ce pas avouer que le «pouvoir» est aux abois, qu’il est pris de panique face au texte de l’initiative? A l’inverse, puiser dans le vivier des professionnels de l’audiovisuel, ne serait-ce pas décevoir cet électorat en colère, qui pourrait penser qu'il n'a pas été entendu?
Notre interlocuteur PLR précité estime que le conseiller fédéral Albert Rösti devrait redéfinir avant la votation de 2026 le mandat de prestation de la SSR, autrement dit, ce qu’on attend d’elle. «Cela permettrait aux Suisses d’y voir plus clair», estime-t-il. Or cette étape n’aura lieu qu’après le vote tant redouté.
La mise au concours du poste de directeur/trice de la SSR aura lieu en février.