Serions-nous tous sur un étrange qui-vive? Limite paranoïaque? Mercredi soir, en conclusion d'un numéro d'Infrarouge un brin anxiogène, qui se demandait si «2024» serait une année «de tous les dangers» (au sens immensément large du terme), paf, plus rien. Pas d'écran noir, mais des paysages de notre douce Suisse, en boucle, souillés par le verbiage de circonstance, composés de «veuillez nous excuser», «interruption», «indépendante de notre volonté».
Il fut un temps où un incident de ce type nous rappelait simplement qu'il est temps de rejoindre Morphée, dans un grommellement inoffensif visant le stagiaire de la RTS qui aurait «pressé le mauvais bouton». Mercredi soir, autre ambiance.
Difficile de ne pas penser immédiatement à un piratage. Parce que c'est la mode. Parce que la Suisse, c'est connu, a un gros temps de retard dans ce domaine. Parce que le monde porte à bout de bras une période foutrement instable. Parce que Netflix, cette coquine, qui aime amplifier grossièrement ce type d'attaques. Parce que, dans la vraie vie, l'Equateur sort à peine d'une violente prise d'otages commanditée par des barons de la coke, en direct à la télévision publique. Parce que.
Plus près de chez nous, et quelques heures avant le repos forcé de la RTS, plusieurs sites Internet de l'administration fédérale se sont temporairement retrouvés inaccessibles. Plus grave, Poutine et les Russes ont été soupçonnés, pointant du doigt la présence de Volodymyr Zelensky à Davos. A la manière d'une expédition punitive, ce seront finalement des cyber-brigands, proche du Kremlin et agissant sous le pseudonyme «No Name» qui en voulait à cette Suisse qui rêve de devenir une plaque tournante pour la paix.
Fort heureusement (il paraît), le tout frais Office fédéral de la cybersécurité «s'attendait à une attaque». Plus de peur que de mal(ware).
Vous pensez bien que dans «une année de tous les dangers», un soir aussi gris qu'un 17 janvier et au sortir d'un assaut virtuel sur notre douce démocratie, il fallait logiquement que la RTS soit infestée de féroces pirates informatiques (au mieux).
Une bande de terroristes à clés USB? Qui se seraient infiltrés dans la salle des machines juste après la conclusion d'Alexis Favre? Et puis, nous, figés comme des cons devant ces paysages helvétiques beaucoup trop paradisiaques pour la gravité supposée des événements, les fesses bien calées entre Black Mirror, les Russes, les Chinois, les anti-Covid, les ennemis de la redevance et les Illuminati.
Comme une cerise pourrie sur un gâteau fantasmé, notre paranoïa exigeait une réponse rapide, que dis-je, instantanée. Avec les réseaux sociaux et cet espace-temps qui se ratatine une fois en ligne, pourquoi diable la RTS ne communique-t-elle pas? Surtout que, dans l'intervalle, on comprend que la chaîne Léman Bleu est, elle aussi, dans le dur.
Un suspens insoutenable, insuffisamment comblé près d'une heure après le début de la panne, par une explication qui n'en était pas vraiment une.
La suite, vous la connaissez. Les programmes sont revenus plus rapidement que l'élucidation de l'incident. Pour aboutir à un happy-end compliqué et très helvétique, jeudi, en milieu de matinée: «Une erreur humaine sur un chantier de l’autoroute entre Genève et Lausanne aurait sectionné à 22h12 un câble transmettant le signal de télévision de la RTS».
Si le conditionnel est toujours de mise, notre esprit dissipe (quasi) tous les soupçons sur la présence d'un suppôt de Poutine le long des rails des CFF.
Moralité, la vigilance s'est définitivement emparée de nos existences. Et ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose que nos cerveaux, biberonnés au fantasme d'une Suisse blottie contre sa bulle de sécurité éternelle, commencent à réaliser que nous faisons bel et bien partie du monde. En devenant à la fois une plateforme pour la paix et une cible de choix pour des nations menacées ou menaçantes. Alors, «2024, une année de tous les dangers»? Faut croire.