Les entreprises suisses suivent-elles bien tous les paquets de sanctions occidentales et européennes acceptées par les autorités helvétiques? Le doute s'est installé dans le canton de Vaud.
C'est en effet une petite bombe qu'a lâchée le quotidien économique alémanique Handelszeitung jeudi matin, en révélant qu'une entreprise basée dans le canton de Vaud a «coordonné des transferts financiers» vers le complexe militaro-industriel russe, et ce via une «société écran» basée en Arménie.
C'est l'organisme américain de contrôle financier, l'Office of foreign assets control (Ofac), dépendant du Trésor, qui a mis le doigt sur ces liens troubles. Dans son viseur, la société Milur SA, basée à Epalinges (VD), qui produit des puces électroniques.
Un communiqué daté du 14 novembre du Département d'Etat américain et signé du nom du secrétaire d'Etat Antony Blinken cite nommément l'entreprise vaudoise. La société comme sa direction sont pointées du doigt par l'Ofac.
Les accusations portées par celui-ci sont graves. L'entreprise vaudoise aurait contourné les sanctions occidentales contre la Russie via une autre société basée en Arménie (au nom très proche) et dont elle est l'actionnaire majoritaire: Milur electronics.
Milur SA aurait «soutenu matériellement» et «fourni des biens et des services à Milur electronics», qui proposait elle-même ses services à un groupe d'entreprises, russe cette fois-ci et qui fait partie intégrante du complexe militaro-industriel de Moscou: Milandr, actif dans le développement de matériel microélectronique militaire.
Selon l'Ofac, de l'argent aurait transité entre les deux entreprises à un moment où l'Union européenne (UE) avait déjà interdit de telles opérations, via ses paquets de sanctions repris par la Suisse. Celles-ci interdisent le commerce «direct ou indirect de biens et de technologies pouvant contribuer au renforcement technologique de la Russie».
Selon la Handelszeitung, cette entreprise fabrique notamment des composants pour des systèmes de navigation, de surveillance, radio et satellite. Autrement dit: elle participe à l'effort de guerre russe en Ukraine.
Selon l'autorité américaine, il s'agit d'une violation claire des sanctions que les sociétés suisses doivent appliquer envers la Russie. L'Ofac n'hésite pas à décrire Milur electronics comme une «société écran».
Selon la Handelszeitung, l'Ofac assure qu'une «somme importante» aurait transité d'Epalinges vers le «compte bancaire personnel» du directeur général de Milandr, Mikhaïl Pavlyuk. L'homme a d'ailleurs été à la tête de Milur SA durant dix ans, avant de démissionner en 2021, remplacé par le CEO actuel de la société, Jacques Pasche, et un suisso-estonien nommé Holger Leng.
Le CEO de Milur SA, Jacques Pasche, actif dans le secteur de la construction, de l'immobilier et des technologies environnementales, n'a pas tenu à s'exprimer auprès de la Handelszeitung.
Le quotidien zurichois révèle également que l'autre homme à la tête de Milur SA, le suisso-estonien Holger Leng, a démissionné le 29 novembre, il y a moins d'une semaine, après deux ans d'activités dans l'entreprise.
Dans le même document, le Département d'Etat américain évoque aussi, concernant d'autres affaires, les Lucernois Laurin Katz et Alexander-Walter Studhalter, liés au réseau financier de l'oligarque russe Suleiman Kerimov.
Interrogée par le média indépendant et spécialisé américain Organize crime and corruption reporting project, la secrétaire au Trésor des Etats-Unis n'y va pas de mainmorte:
L'affaire pourrait d'ailleurs rebondir à Berne. La conseillère nationale Stefania Prezioso Batou (Ensemble à gauche/GE) a déposé une interpellation à ce sujet mercredi au Conseil national.
«Des citoyens suisses sont partie prenante de Milur SA», indique notamment le texte de la députée. Elle a expressément demandé au Conseil fédéral et au Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) de prendre position sur l'affaire.