Ce jeudi, le Conseil fédéral a ajouté le groupe Wagner à la liste des sanctions liées à l'invasion russe. Les mercenaires sont actifs en Ukraine, mais sévissent également dans d'autres conflits à travers le monde. Ses membres sont accusés de divers crimes de guerre, notamment lors des massacres perpétrés dans la banlieue de Kiev, à Boutcha, au printemps 2022.
Il peut paraître surprenant que la Suisse n'ait pas sanctionné le groupe Wagner plus rapidement. En effet, l'Union européenne (UE), dont Berne reprend presque intégralement les sanctions relatives à la guerre en Ukraine, avait déjà sanctionné les mercenaires en décembre 2021.
Le problème? L'UE avait pris des mesures contre Wagner en l'ajoutant sa liste globale de sanctions pour violations graves des droits de l'homme. La Suisse considère celle-ci comme un «régime de sanctions thématiques» qu'elle ne reprend pas. En revanche, la Suisse adopte généralement les «régimes de sanctions géographiques» de l'UE qui se rapportent à un conflit particulier – comme la guerre en Ukraine.
Cette distinction pratiquée par le Conseil fédéral peut paraître difficilement compréhensible. En clair: ce n'est que parce que l'UE a désormais spécifiquement placé le groupe Wagner sur la liste des sanctions relatives à la guerre en Ukraine que la Suisse peut également le sanctionner. En revanche, Berne ne peut rien faire contre six cadres du groupe, haut placés et proches d'Evgueni Prigojine, que l'UE a ajoutés en février sur son régime de «sanctions thématiques». Ils figurent en effet sur la «mauvaise» liste.
Le sujet des «sanctions thématiques» de l'UE est depuis longtemps une patate chaude pour le Conseil fédéral. Depuis l'été 2021, il prépare un document de réflexion sur les avantages et les inconvénients d'une reprise de telles sanctions.
Le dossier a déjà été abordé à deux reprises lors de séances du Conseil fédéral. En décembre 2022, le gouvernement avait, après un «examen exhaustif», donné mandat aux Départements de l'économie, des affaires étrangères et de la justice «d'examiner de manière encore plus approfondie les bases légales existantes».
Selon le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), responsable du dossier, le résultat de cet examen est désormais disponible et le Conseil fédéral en a été informé. Le Seco ne peut pas commenter les prochaines étapes. Il indique seulement que le Conseil fédéral veut:
Derrière cette formulation alambiquée se cache une première prise de décision du Conseil fédéral dans ce dossier délicat. Jusqu'à présent, il s'était abstenu de se prononcer sur quoi que ce soit. Selon les critiques, cette hésitation était due à la peur de la Chine.
En 2021, l'UE a sanctionné des fonctionnaires chinois pour de graves violations des droits de l'homme contre la minorité ouïghoure. Reprendre ses sanctions aurait risqué de détériorer les relations entre la Suisse et la Chine, avait averti l'ambassadeur de Pékin à Berne.
Après de longues hésitations, le Conseil fédéral donc semble s'ouvrir à la possibilité d'une reprise de certaines sanctions «thématiques» de l'UE. Elle devrait avoir lieu dans les cas particuliers où une non-reprise ne peut pas être justifiée. Par exemple, lorsque l'UE liste sous son régime de sanctions en matière de droits de l'homme une personne qui a commis un crime dans le cadre d'un conflit pour lequel la Suisse a déjà repris d'autres sanctions. C'était par exemple le cas d'un mercenaire de Wagner qui avait décapité un homme en Syrie.
Avec une telle pratique sélective, le Conseil fédéral pourrait continuer à se soustraire à une décision désagréable: celle de savoir s'il veut se fâcher avec Pékin à cause des violations des droits de l'homme contre les Ouïghours.
Traduit et adapté par Léa Krejci