«Dossier Center» est un groupe d'enquêteurs financés par l’homme d’affaires et dissident russe Mikhaïl Khodorkovski. Ces justiciers (masqués) ont diffusé un grand nombre d'informations concernant le groupe Wagner, par le biais d'une enquête intitulée «La cyberarmée de Prigojine».
Une vaste étude basée sur plus d’un million de documents internes volés au «cuisinier de Poutine» et qui dévoile l'énorme empire façonné par Prigojine: des médias en ligne, des mines d'or ou de diamants, des entreprises d'extraction d'hydrocarbures, des sociétés de consultants ou d'ingénierie politique, une usine à trolls, des restaurants, des hôtels, une chocolaterie, une boucherie industrielle ou des stations de lavage auto auxquelles il faut rajouter des sociétés-écrans. Bien sûr, sans oublier le groupe paramilitaire Wagner.
Ces près de 400 sociétés sont sous pavillon Concord Group, la structure mère et véritable holding criminelle internationale.
On y apprend entre autres que tous les employés de Prigojine, y compris les serveurs de ses restaurants, seraient appelés à passer un test au détecteur de mensonges avant l'embauche, d'une durée de deux heures. Le grand boss et ami de Poutine serait particulièrement pointilleux, comme il est souligné par le rapport:
Autre petit détail, les mots de passe «craqués» par les pirates contiennent très souvent le chiffre 1488, un code de reconnaissance chez les néonazis et les suprémacistes blancs.
Selon l'enquête, à l'automne 2021, le service informatique de la «Troll Factory», cette fabrique à trolls de Saint-Pétersbourg, l’Internet Research Agency, employait environ 40 personnes: des chefs de projet, dix administrateurs système, des développeurs back-end et des développeurs front-end. Les salaires sont modestes, entre 60 000 (environ 715 francs suisses) à 250 000 roubles (environ 3000 francs suisses).
Selon d'anciens employés cités dans le rapport, environ 400 employés travaillent désormais à «l'usine», dont plus de 30 se consacrent uniquement à la rédaction de commentaires sur des sites de différents médias, et environ 30 autres personnes écrivent des commentaires sur YouTube. Le budget estimé pour «l'usine» en 2022 était de 70 à 100 millions de roubles par mois, «hors tâches spéciales», selon le rapport. Les «tâches spéciales» sont des projets Internet supplémentaires liés aux intérêts personnels d'Evgueni Prigojine.
Le groupe consacre de gros budgets pour des chaînes de propagande Telegram ou Twitter, pour véhiculer des discours pro-Kremlin et même payer des articles dans des médias réputés comme Kommersant. Selon «Dossier Center», le quotidien aurait perçu 750 000 roubles (environ 8900 francs suisses) pour une simple publication en 2021.
Autre information soulignée dans le rapport, et non des moindres, on découvre que la fille de l’idéologue ultranationaliste Alexandre Douguine, Daria Douguina, tuée dans un attentat à la bombe en août 2022, travaillait pour Evgueni Prigojine. Son rôle était d'être responsable de la direction étrangère. Elle organisait des publications et des commentaires de Prigojine dans les médias turcs. Selon les hackers, elle a orchestré une grande interview avec le journal Aydınlık.
Pour un peu plus de légèreté, les enquêteurs ont appris que Prigojine adorait utiliser un iPad et prendre des selfies. Mais le grand chef des Wagner reste fidèle à ses vieilles habitudes, en utilisant encore un organiseur à piles Psion, comme il en existait il y a 15 ans.
Dernier détail dans cette jungle d'informations, les comptabilités, y compris celle d'actes répréhensibles (de la corruption), ne laissent rien au hasard. Elles incluent par exemple les sommes payées à tel ou tel politicien en Russie ou ailleurs.
Cette foule de documents siphonnés par les hackers, démontre l'immensité de la structure pilotée par Prigojine; un véritable réseau tentaculaire qui, à la fois, ressemble à l’Etat russe et à une organisation criminelle.