L'entretien à Genève s'est déroulé dans un climat de pression internationale croissante sur la Suisse. Lundi, Suissenégoce, l'association professionnelle des entreprises suisses de négoce de matières premières, a reçu une délégation du Département du Trésor américain.
Comme l'a rapporté la NZZ la semaine dernière, la délégation américaine souhaitait s'informer sur les développements de la politique énergétique et les perspectives à moyen terme en Europe.
Le deuxième point de l'ordre du jour était beaucoup plus délicat: le rôle des sanctions contre la Russie dans le commerce des matières premières. Des experts du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) étaient présents.
Cette rencontre intervient à un moment où les relations entre la Suisse et les Etats-Unis sont tendues. La politique de neutralité défendue par le Conseil fédéral se heurte parfois à l'incompréhension de Washington.
En mars, l'ambassadeur américain Scott Miller avait vivement critiqué le rôle de la Suisse et exigé une application plus conséquente des sanctions. Une critique similaire a été émise la semaine dernière par une commission de haut niveau du Congrès américain.
Après la place financière, c'est au tour du négoce des matières premières en Suisse d'être dans le collimateur des Etats-Unis. Selon les critiques, les négociants suisses en matières premières sont des complices du financement de la guerre russe contre l'Ukraine.
Interrogé à l'issue de la rencontre à Genève, le Seco a souligné qu'il ne s'agissait que d'un entretien au niveau technique:
Le département du Trésor américain mène des discussions similaires avec des interlocuteurs dans d'autres pays européens, a-t-il ajouté. Le thème des sanctions n'aurait été abordé «que brièvement».
L'association professionnelle Suissenégoce a également salué, dans un communiqué, le projet des représentants américains de discuter de la sécurité de l'approvisionnement énergétique. Lors de la rencontre, on a notamment souligné «l'importance de conditions de concurrence égales au niveau international pour les sanctions dans le commerce de l'énergie». L'ambassade américaine n'a fait aucun commentaire sur la rencontre.
Il est incontestable que la Suisse reste une plaque tournante centrale pour l'exportation de matières premières russes. En principe, les entreprises suisses sont autorisées à acheter et à revendre des matières premières russes, ceci sauf si les sanctions de l'Union européenne – reprises par la Suisse – l'interdisent expressément, comme dans le cas du charbon russe.
En ce qui concerne le pétrole russe, la Suisse s'est ralliée à l'embargo de l'UE et des Etats-Unis. Mais l'achat et la revente à des pays tiers restent autorisés. Toutefois, 40 Etats sous la direction des Etats-Unis, dont la Suisse, ont décidé d'introduire un plafond de prix (price cap) de 60 dollars par baril de pétrole brut russe pour le commerce.
L'objectif est de garantir l'approvisionnement des pays d'Asie ou d'Afrique qui dépendent du pétrole russe. Parallèlement, il s'agit d'empêcher la Russie de financer la guerre contre l'Ukraine grâce aux bénéfices exorbitants tirés de l'exportation de pétrole.
Patrick Eberhardt, avocat auprès du cabinet Eversheds Sutherland à Genève, s'occupe professionnellement depuis 20 ans du commerce des matières premières. Selon ses observations, la branche s'efforce en grande majorité de respecter strictement les sanctions et le price cap.
Les violations des sanctions coûtent cher aux entreprises et entraînent des procédures coûteuses, non seulement en Suisse, mais aussi outre-mer. Comme le commerce du pétrole se fait en dollars et que la compensation des transactions doit donc se faire aux Etats-Unis, les affaires relèvent également de leur juridiction, explique-t-il.
Il observe lui aussi une pression croissante de la part de Washington. Il explique:
Pour Robert Bachmann de l'ONG Public Eye, la Suisse, en tant que place de négoce de matières premières, est sans surprise sous pression. En plus des violations des droits de l'homme, des atteintes à l'environnement et des cas de corruption, le financement de la guerrerusse par les exportations de pétrole de la Russie via Genève ou Zoug fait apparaître un risque supplémentaire pour la réputation du pays.
Face à cela, il est incompréhensible que le Conseil fédéral ne soit pas prêt, depuis des années, à veiller à plus de transparence et à une réglementation plus stricte:
Il regrette qu'un scénario se dessine comme autrefois pour le secret bancaire. Et de conclure:
Traduit de l'allemand par Nicolas Varin