Une quiétude estivale régnait sur Berne ces derniers jours. Mais ce calme a vite été perturbé par les vives critiques émises par un influent homme d'affaires américain dans une commission du Congrès à Washington il y a quelques jours.
Dans le cadre de la commission Helsinki du Congrès américain, il a été reproché à la Suisse de se montrer trop complaisante avec la Russie et ses oligarques. L'Américain Bill Browder a vivement critiqué cinq hauts fonctionnaires suisses, dont le procureur général de la Confédération, Stefan Blättler, et son prédécesseur Michael Lauber.
Au lendemain de ces déclarations, le Conseil fédéral et les administrations qui lui sont affiliées ont réagi. «Nous rejetons ce reproche avec la plus grande fermeté», a écrit le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco).
Pour contrer les déclarations de l'homme d'affaires, le Seco affirme que les exportations et ventes de composants électroniques à destination de la Russie sont interdites depuis le 4 mars 2022. Les pièces retrouvées en Ukraine ayant un lien avec la Suisse auraient été acquises par la Russie – avant la guerre – via des pays tiers. Il s'agit de produits industriels de masse sans spécifications militaires.
Le Seco a dès lors exhorté les entreprises concernées à s'assurer que leurs distributeurs n'autorisent plus aucune livraison vers la Russie.
La Suisse est aussi accusée de n'avoir pas suffisamment gelé les avoirs appartenant à des oligarques russes et à des entreprises russes jusqu'à présent.
Un élément important dans cette affaire est l'estimation de l'Association suisse des banquiers, selon laquelle entre 150 et 200 milliards de francs provenant de Russie sont déposés sur des comptes suisses. Ces chiffres ont été mentionnés mardi à Washington. Pour rappel, la Suisse a jusqu'à présent gelé des actifs d'une valeur de 7,5 milliards de francs suisses en provenance de Russie et de Biélorussie.
Le Secrétariat d'État à l'économie précise qu'à ce jour, des dépôts d'un montant de 46,1 milliards de francs suisses ont été signalés au Secrétariat en provenance de personnes physiques et morales en Russie. Très peu de biens russes en Suisse ont été soumis à des sanctions.
Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) souligne également que les reproches formulés lors de la réunion de la commission à Washington ne reposent «sur aucune base factuelle».
Comme l'a rapporté la NZZ mercredi, les autorités américaines veulent désormais examiner la manière dont les négociants en matières premières établis en Suisse appliquent les sanctions contre la Russie.
Pour le chef du groupe parlementaire UDC Thomas Aeschi, c'est le signe que les Etats-Unis souhaitent affaiblir un autre secteur important de la Suisse après la levée du secret bancaire.
Selon l'élu UDC, la Suisse doit absolument s'y opposer. Par ailleurs, en reprenant les sanctions de l'UE contre la Russie, la Confédération est déjà allée plus loin que ce qu'un Etat neutre est censé faire.
De son côté, le président du PLR, Thierry Burkart, explique que la Suisse doit appliquer les sanctions prises de manière systématique. Cela vaut également pour les normes internationales en matière de blanchiment d'argent.
A ses yeux, il est reconnu au niveau international que la Suisse coopère. En outre, la diplomatie suisse doit s'efforcer de manière urgente et intensive de clarifier la situation vis-à-vis des Etats-Unis.
Le ton est différent chez les Verts: «La Suisse n'en fait pas assez pour rechercher les avoirs de personnes et d'entreprises russes», estime la cheffe du groupe Aline Trede.
Selon elle, la Suisse doit rejoindre la taskforce des pays du G7 et mettre à disposition davantage de ressources pour retrouver les avoirs. Il est en outre important que la loi contre le blanchiment d'argent soit enfin renforcée et qu'elle inclue également les représentants légaux.
Le président du Centre, Gerhard Pfister, souligne que depuis le début de la guerre, son parti exige du Conseil fédéral qu'il s'engage résolument pour l'identification et le blocage des fonds des oligarques, par exemple avec une taskforce. Il s'agit de coordonner les mesures prises par le Seco au niveau international et de les renforcer rapidement si nécessaire.
De son côté, l'Association suisse des banquiers affirme que les reproches formulés par la commission de Washington sont infondés.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)