Des «millions d'Européens» sont menacés par un mal invisible, inodore et intangible, mais qui peut avoir «des effets considérables sur la santé»: la pollution sonore. C'est ce qui ressort d'un vaste rapport publié fin juin par l'Agence européenne pour l'environnement (AEE). Ses conclusions sont alarmantes: plus d'une personne sur cinq est exposée à des niveaux de bruit excessifs sur le contient - soit quelque 110 millions d'individus.
Pour l'Union européenne, on parle de pollution sonore lorsque le bruit dépasse le seuil des 55 décibels sur l’ensemble des 24 heures de la journée. La nuit, cette valeur limite s'élève à 50 décibels. En Suisse, le seuil est fixé à 60 dB le jour et 50 la nuit. A titre d'exemple, une conversation génère un bruit de 60 dB, un klaxon 85 et un coup de feu, 160.
Selon l'AEE, tous les pays européens sont touchés par ce problème, Suisse comprise. Dans notre pays, la part de population exposée à la pollution sonore est même légèrement supérieure à la moyenne européenne et se situe à 24%. Un peu plus de deux millions de personnes sont concernées, estime le rapport.
D'autres pays affichent des valeurs bien plus élevées, à l'image du Luxembourg, où 68% de la population est touchée par le phénomène, de Chypre (52%) et de la France (36%). A l'inverse, seuls trois Etats présentent un taux inférieur à 10%. Il s'agit de l'Estonie, du Portugal et de la Slovaquie.
Bien que la pollution sonore puisse provenir de nombreuses activités humaines, le système de transport est, de loin, le principal responsable, indique l'AEE. La circulation routière, en particulier, impacte directement plus de 90 millions d'individus. En Suisse aussi, les nuisances liées à la route représentent la principale source de pollution sonore et affectent 1,8 million de personnes.
«Si le bruit des trains et des avions affecte globalement moins de personnes, il reste une source importante de pollution sonore locale», précise l'AEE.
Le rapport souligne que l'exposition à long terme au bruit est associée à «un large éventail d'effets négatifs sur la santé». Pour comprendre pourquoi, il faut savoir comment le corps réagit aux nuisances sonores, avance le professeur Idris Guessous, médecin chef du service de médecine de premier recours des HUG et vice-doyen de la faculté de médecine de l'Unige.
«Quand nous sommes confrontés à une menace immédiate et soudaine, disons un lion qui vient vers nous, nous n'avons que deux options: l'affronter ou prendre la fuite», illustre-t-il. Dans les deux cas, on passe d'un état de repos à un état de stress extrême, caractérisé par une stimulation artérielle accrue et une importante sécrétion d'adrénaline et de cortisone. Le professeur précise:
Pour cette raison, la nuit est le moment le plus délicat, explique Idris Guessous. «Pendant le sommeil, nous ne sommes pas préparés au bruit, nous ne pouvons pas identifier sa source, contrairement à ce qu'il se passe pendant la journée». L'organisme n'en est que plus surpris. Conséquence:
Les conséquences sur la santé sont nombreuses: hypertension chronique, troubles cardiovasculaires et du métabolisme, diabète, obésité. «A cela s'ajoutent des problèmes liés à la santé mentale, tels que l'anxiété, la fatigue et la dépression, ainsi que tous les autres troubles du sommeil», complète Idris Guessous.
De plus, cet état de stress empêche l'organisme de ralentir son activité, ce qui est pourtant essentiel pour avoir un vrai sommeil réparateur. «C'est comme si le corps n'arrêtait jamais de fonctionner à plein régime», résume le spécialiste.
Selon l'AEE, rien qu'en 2021, l'exposition prolongée au bruit a été liée à environ 66 000 décès prématurés, 50 000 nouveaux cas de maladies cardiovasculaires et 22 000 nouveaux cas de diabète de type 2. En Suisse, le bilan estimé par le rapport s'élève à 720 morts par an, dont 640 sont imputées au bruit de la route.
Tout cela a un coût, précise l'AEE. Les années de vie perdues prématurément à cause d'une maladie ou d'un décès privent l'économie d'un «potentiel considérable» de ressources humaines et représentent «une source de perte de productivité».
Ajoutons finalement que la nature souffre également de cette situation. La pollution sonore influence le comportement, la communication et la perception sensorielle des animaux sauvages, et perturbe les fonctions de l'écosystème.
Les solutions pour lutter contre le problème sont connues et efficaces, note Idris Guessous, qui cite les revêtements phonoabsorbants et la rénovation des bâtiments.
La situation serait en train de s'améliorer, mais trop lentement, déplore l'AEE. Le nombre de personnes fortement touchées ne serait diminué que de 3% entre 2017 et 2022. Idris Guessous estime que beaucoup de progrès ont été accomplis, mais la vigilance reste de mise: «On constate que le bruit nocturne continue d'augmenter».
«Il faut également s'assurer que les efforts soient bien répartis sur le territoire, y compris dans les quartiers les plus précaires, où l'on a souvent d'autres facteurs de risque», conclut-il.