Les associations qui luttent contre les addictions ne cessent de le répéter: l'alcool n'est pas un produit comme les autres. Sa consommation provoque la mort d'environ 1500 personnes chaque année en Suisse, ce qui correspond à quatre décès par jour. Cette substance est responsable de plus d’un accident routier sur dix et est présente dans près de la moitié des actes de violence commis dans l’espace public. On estime que 250 000 personnes vivent avec une dépendance à l’alcool dans notre pays.
«Il n’y a pas de consommation d’alcool sans risque», rappelle Addiction Suisse dans un vaste rapport diffusé ce mardi matin. Pourtant, déplore-t-elle, le Parlement fédéral ne s’intéresse plus à ce sujet. «D'autres substances sont dans l'agenda politique actuel, comme le cannabis ou le crack», indique Florian Labhart, chef de projet chez Addiction Suisse.
Camille Robert, cosecrétaire générale du Groupement romand d'étude des addictions (GREA), fait le même constat: au niveau fédéral, la situation stagne. «Il n'y a pas de fenêtre d'opportunité ni la majorité politique au Parlement pour pouvoir intervenir», estime-t-elle.
En effet, les deux spécialistes évoquent un climat politique et économique défavorable à la santé publique. Les mesures d’économie adoptées par le Conseil fédéral et le Parlement ont, par exemple, contraint l'OFSP à diminuer son budget. Plus globalement, «très peu de moyens sont mis dans la prévention, qui reste insuffisante», regrette Camille Robert.
«Au niveau cantonal, on observe également des tendances inquiétantes, comme la volonté de réintroduire la vente d'alcool dans les stations-service», ajoute-t-elle. Un peu partout en Suisse, «le vent est à la dérégulation», alerte Addiction Suisse dans son rapport.
L'association veut inverser cette tendance. Elle réclame des mesures pour «prévenir ou réduire les dommages et les souffrances» engendrés par l'alcool, en s'attaquant notamment aux «pratiques commerciales qui favorisent la consommation problématique».
Plusieurs pistes existent, à commencer par l'imposition des boissons alcoolisées. «En Suisse, contrairement à la plupart des autres pays européens, les spiritueux et la bière sont taxés, mais pas le vin», explique Florian Labhart.
Des études montreraient l'efficacité de cette approche, selon Addiction Suisse, qui évoque notamment une taxation en fonction de la teneur en alcool. «Augmenter les prix de l'alcool fait partie des recommandations de l'OMS. Lorsqu'on augmente les prix, la consommation tend à diminuer», confirme Camille Robert.
Pourtant, nuance-t-elle, cette mesure ne fonctionne pas toute seule, et touche surtout les personnes le moins aisées. Pour cette raison, une hausse des prix doit s'accompagner d'autres actions.
Florian Labhart liste les pistes suivantes: limiter les heures d'achat, notamment durant la nuit, pour éviter la consommation spontanée. Renforcer les contrôles à l'entrée des pubs et boîtes de nuit, et interdire la vente aux personnes déjà alcoolisées.
Cibler la publicité est tout aussi important, comme préconisé par l'OMS. Selon Addiction Suisse, «il est indispensable d’interdire toutes les formes de parrainage et de publicité qui atteignent les jeunes, ainsi que la publicité qui associe ce produit à un mode de vie attrayant».
«A un autre niveau, on pourrait prendre des mesures pour limiter les dégâts», complète Florian Labhart. «Renforcer l'offre des transports publics la nuit permettrait par exemple de réduire le risque d'alcool au volant».
Reste à savoir comment la collectivité réagirait à ces restrictions. Addiction Suisse rappelle que plus de 80% de la population helvétique de 15 ans et plus boit de l'alcool. «Cette boisson est profondément ancrée dans notre culture, et sa consommation caractérise une multitude d'occasions et de circonstances», souligne Camille Robert. Et d'ajouter:
A cela s'ajoute le fait que la Suisse met beaucoup d'importance sur la liberté individuelle, note Florian Labhart, lequel estime toutefois que cette dernière ne doit pas être en concurrence avec la responsabilité collective.
D'autant plus que le but de la prévention n'est pas de bannir l'alcool ou d'interdire aux gens de boire, déclare Camille Robert, mais de les pousser à réfléchir à leur consommation: «Pourquoi boivent-ils, comment, et à quels moments? Et comment réduire les risques?», illustre-t-elle.
«C'est la responsabilité de tout le monde d'agir, si l'on considère que c'est un problème. Et ça l'est», affirme Florian Labhart. «A titre d'exemple, l'attitude des parents vis-à-vis de l'alcool a un impact très important sur les habitudes de leurs enfants», indique encore le spécialiste. Et de conclure: